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« Non à n’importe quel État, démocratique ou pas ! » Agustín García Calvo à la Puerta del Sol

Anonyme, Jueves, Junio 2, 2011 - 03:13

Agustín García Calvo

Assemblée de la Puerta del Sol
Intervention d’Agustín García Calvo
Madrid
19 mai 2011

Traduction de la retranscription :
Marjolaine François et Manuel Martinez

( Agustin Garcia Calvo est un auteur espa­gnol (phi­lo­lo­gie, théâ­tre, poésie, lin­guis­ti­que, essais et pam­phlets.)

Vous êtes la joie, la joie de l’ines­péré, de ce qui n’est pas prévu, ni par les auto­ri­tés et les gou­ver­ne­ments, ni par les partis poli­ti­ques quelle qu’en soit la cou­leur, véri­ta­ble­ment imprévu : vous-mêmes, ou la plu­part d’entre vous, il y a quel­ques mois ou quel­ques semai­nes, n’aviez pas non plus prévu que cela pou­vait surgir. La joie est l’ines­péré et il n’y a pas d’autre joie que celle-là, il n’y a pas de futur, comme je le répé­te­rai désor­mais. Malgré cela je vais dire quel­que chose qui peut sem­bler contra­dic­toire : j’espé­rais cela depuis qua­rante et quel­ques années, qua­rante-six ans. [Applaudissements.]

Je vous raconte un peu com­ment : dans les années soixante, comme l’ont entendu les plus jeunes, com­mença à se sou­le­ver de par le monde une vague d’étudiants prin­ci­pa­le­ment, dans les uni­ver­si­tés, les campus, de Tokyo, de Californie... En 65, en février, cette vague arriva à Madrid. Je me suis laissé empor­ter par elle avec beau­coup de joie, quoiqu’il m’en coûta. Comme vous le savez, la vague conti­nua ensuite en Allemagne avec Rudi Dutschke le Rouge, puis en France, avec le fameux Mai fran­çais, où elle s’acheva plus ou moins. Je vais vous dire com­ment je per­çois le lien entre l’année 65 et main­te­nant. Peut-être parmi les plus vieux, ou pas si vieux que ça, cer­tains pour­ront vous le dire : sans doute les parents des plus vieux d’entre vous étaient alors étudiants à Madrid, cou­rant avec moi devant la guar­dia civil, les gris comme on les appe­lait... mais pour ma part, je dirais qu’en ces années dans le monde avancé ou « pre­mier », s’établissait un régime, un régime de pou­voir, qui est jus­te­ment celui que vous subis­sez avec moi aujourd’hui... Je m’arrête un peu le temps que... [Beaucoup de bruits. Une voix : « Ne t’arrête pas, conti­nue ! »]... ce régime était en train de s’établir, celui que vous subis­sez avec moi aujourd’hui, et qui est, pour le dire briè­ve­ment, le régime, la forme de pou­voir dans laquelle l’État, la gou­ver­nance, l’admi­nis­tra­tion étatique, se confon­dent entiè­re­ment avec le capi­tal, les finan­ces, l’inves­tis­se­ment finan­cier : entiè­re­ment confon­dus. [Applaudissements et cris.] En sim­pli­fiant, on peut dire que c’est le Régime de l’Argent, et je crois que beau­coup d’entre vous, par le bas, soup­çon­nent que c’est prin­ci­pa­le­ment contre cela que vous vous sou­le­vez, que vous avez envie de crier, de dire la seule chose que le peuple sait dire : Non ! [Longs applau­dis­se­ments. Des voix : « C’est ça ! »]

Ce qui me sou­le­vait à trente-neuf ans, voilà qua­rante-six ans, atteint main­te­nant son point culmi­nant, sa quasi-vieillesse : le régime de l’État-Capital, le régime de l’argent, donne effec­ti­ve­ment des signes de sa fati­gue avec, entre autres choses qui vous par­vien­nent, sa fable d’une crise per­ma­nente, ses chif­fres et sta­tis­ti­ques, avec les­quels, chaque jour, ils ten­tent de vous dis­traire, pour que vous ne sen­tiez pas, que vous ne vous ren­diez pas compte de ce qui se passe der­rière ces chif­fres et ces noms que les gou­ver­ne­ments et partis vous four­nis­sent. Il est donc logi­que que je me trouve parmi vous en ce moment de vieillis­se­ment du Régime, plus que de matu­rité, comme je me trou­vais à ses com­men­ce­ments. Selon moi, le sou­lè­ve­ment des étudiants de par le monde en 65 répon­dait à une prise de cons­cience de ce qui s’abat­tait sur nous ; à pré­sent vous avez souf­fert beau­coup plus direc­te­ment de ce qu’est le régime, quels que soient les noms que vous donnez à cette souf­france, et c’est donc aussi logi­que qu’ines­péré que vous vous sou­le­viez et por­tiez votre voix contre lui.

Je pour­rais vous en dire plus, mais ce n’est pas ce que je vou­lais faire ici, car en col­la­bo­rant à ma façon à ce sou­lè­ve­ment, ou peu importe le nom que vous lui donnez, je ne veux pas avoir l’air de venir vous donner des conseils, mais malgré tout je veux par­ta­ger quel­ques sug­ges­tions, sur­tout néga­ti­ves. La pre­mière est de ne jamais comp­ter en quoi que ce soit sur l’État, quel qu’il soit : sur aucune forme d’orga­ni­sa­tion étatique. [Applaudissements.] Je vois que c’est une erreur que beau­coup d’entre vous per­çoi­vent sans qu’il y ait besoin de le dire. Il en découle que l’on ne peut en aucun cas se servir de la Démocratie, ni du nom ’démo­cra­tie’. Désolé, je vois bien que cela n’éveille pas d’applau­dis­se­ments immé­diats, mais il faut insis­ter là-dessus. Je com­prends que choi­sir des devi­ses comme « Démocratie réelle tout de suite » peut être, pour celui qui l’inventa, une tac­ti­que, une tac­ti­que pour ne pas trop se dévoi­ler, car il sem­ble­rait que dire fron­ta­le­ment et immé­dia­te­ment « Non à n’importe quel État, démo­cra­ti­que ou pas ! », pour­rait sonner mal. Cette timi­dité ou cette modes­tie peut l’expli­quer, mais je crois qu’il est temps se défaire de cette trom­pe­rie. La Démocratie est un trompe-l’œil, c’est une trom­pe­rie pour ce qui reste en nous de peuple vivant ; ça l’est depuis qu’elle fut inven­tée par les grecs à Athènes ou ailleurs. C’est un trompe-l’œil fondé sur la confu­sion que le nom lui-même dénonce : demo et kratos. Kratos est le pou­voir et Demo serait sup­posé être le peuple, et, quels que soient les ava­tars de n’importe quelle his­toire, le peuple ne peut jamais avoir le pou­voir : le pou­voir est contre le peuple.[Bravos.] C’est une chose trop claire, mais il faut bien la com­pren­dre. [Applaudissements.] Je sup­pose que cette contra­dic­tion pré­sente dans le nom même de démo­cra­tie vous encou­rage à com­pren­dre cela véri­ta­ble­ment. Le régime démo­cra­ti­que est sim­ple­ment le régime le plus avancé, le plus par­fait, celui qui a donné les meilleurs résul­tats, celui qui est arrivé à pro­duire le Régime du Bien-être dans lequel ils nous disent que nous vivons ; c’est sim­ple­ment ça, mais il ne cesse pas à la fois d’être le Pouvoir, le même que tou­jours. Au plus le régime se par­fait, au plus il est avancé, au plus ses manè­ges pour trom­per et pour manier le men­songe, ce qui est essen­tiel à n’importe quel État, se per­fec­tion­nent. De sorte que, si cer­tains d’entre vous ont l’illu­sion d’accé­der à une démo­cra­tie meilleure, je leur deman­de­rai de se détour­ner de ce chemin. Ce n’est pas par là, ce n’est pas par là... Et si votre sou­lè­ve­ment par­vient à attein­dre un carac­tère orga­nisé, sem­bla­ble en défi­ni­tif à l’admi­nis­tra­tion de l’État, il serait déjà, par cela même, perdu, il ne ferait rien de plus que répé­ter une fois de plus la même his­toire sous d’autres formes plus per­fec­tion­nées parce qu’il assi­mi­le­rait ainsi la pro­tes­ta­tion, le sou­lè­ve­ment lui-même, ce qui est la façon par laquelle l’État a peu à peu avancé au tra­vers de révo­lu­tions tou­jours man­quées ; c’est jus­te­ment ce dont ils ont besoin parce que pour conti­nuer à être lui-même, l’Argent se doit de chan­ger, chan­ger pour demeu­rer le même : voilà le grand manège qui pèse au-dessus de nous. Quand je vous sug­gère ou vous demande de renon­cer aux idées d’un autre État meilleur, d’un autre pou­voir meilleur et vous rap­pelle que... [Immense vacarme sur la Place.] … je vais ter­mi­ner et vous lais­ser vous entre­te­nir d’autres choses plus amu­san­tes que moi. Quand j’ose vous recom­man­der la désillu­sion de n’importe quelle forme de pou­voir, et que je barre par consé­quent de la liste quel­ques-unes des reven­di­ca­tions que vos diri­geants ont établies ou divul­guées, j’essaye de vous détrom­per en même temps d’une autre chose, qui est le Futur, le Futur : voilà l’ennemi. Vous com­pre­nez bien qu’en repous­sant l’inten­tion de trou­ver un meilleur régime par votre sou­lè­ve­ment, je cher­che à vous détrom­per du Futur. [Une voix : « Que pro­po­ses-tu ? »] C’est avec le Futur qu’ils nous trom­pent, les vieux, mais sur­tout les plus jeunes, chaque jour. Ils nous disent : « Vous avez beau­coup de Futur. » ou « Vous devez cons­truire votre Futur. », « Chacun se doit de cons­truire son Futur. », et tout cela n’est rien de plus -bien qu’ils ne le disent pas- qu’une rési­gna­tion à la mort, à la mort future. Le Futur, c’est cela ; le Futur, c’est ce qui est néces­saire au Capital ; l’Argent n’est rien d’autre que crédit, c’est-à-dire du Futur, une foi dans le Futur. Si l’on ne pou­vait pas tenir de comp­tes, il n’y aurait ni Banque, ni bud­gets étatiques. Le Futur est à eux, c’est leur arme. Par consé­quent, ne le lais­sez jamais réson­ner à vos oreilles comme quel­que chose de béni ou de béné­fi­que : il doit réson­ner comme la mort, ce qu’est jus­te­ment le Futur. Ce que nous sommes en train de faire ici, ce que vous êtes en train de faire ici, cela par­lera de soi-même, mais nous n’avons pas de Futur. Nous n’avons pas de Futur parce que c’est le propre des entre­pri­ses, des finan­ces et du Capital. Vous n’avez pas de Futur ! : c’est ce qu’il faut avoir le cou­rage de dénon­cer.

Je vais m’arrê­ter là, je n’avan­ce­rai plus de sug­ges­tions pour le moment. Une chose néan­moins, plus pra­ti­que : j’aime­rais évidemment qu’après les fameu­ses élections du 22 mai, qui per­tur­bent beau­coup (vous vous êtes aper­çus que non seu­le­ment les Médias vous embrouillent avec la ques­tion des élections puisqu’ils n’ont rien de mieux à faire, mais aussi que beau­coup d’entre vous perdez beau­coup de temps à penser à ce qu’il faut faire, voter ou non, voter pour untel ou untel), c’est une per­tur­ba­tion for­mi­da­ble, mon désir serait donc qu’une fois passé cet emmer­de­ment, cette idio­tie du vote, vous conti­nuiez à être vivants et plus ou moins ensem­ble, les uns avec les autres.[Applaudissements.] Et dans ce cas, je vous sug­gè­re­rai pour l’ins­tant une tac­ti­que (conti­nuer à faire les assem­blées ici est pro­ba­ble­ment une erreur que l’on ne peut sou­te­nir encore long­temps) : évidemment, je pense que vous le savez tous, il ne peut y avoir d’Organe ni déci­sif, ni repré­sen­ta­tif autre que les assem­blées. Et voici pour­quoi [Applaudissements.] : Il ne peut y en avoir car les assem­blées comme celle-ci ont un grand avan­tage : on ne sait pas com­bien on est, on y entre et on en sort à tous moments, et on ne peut jamais comp­ter, de sorte qu’on ne peut jamais voter comme le font les Démocrates parce qu’on ne sait pas com­bien on est, et qu’il n’y a lieu de faire ni sta­tis­ti­ques ni décomp­tes. C’est ce qui rap­pro­che une grande assem­blée de ce que peut être le peuple, qui n’existe pas mais qu’il y a et qui reste en des­sous des per­son­nes, qui elles, oui, peu­vent être comp­tées en nombre d’âmes et en nombre de votes ; contrai­re­ment à ce qu’il y a en des­sous d’elles. Ne renon­cez donc jamais aux assem­blées. Voilà pour la digres­sion.

Maintenant je me tourne un moment vers ceux d’entre vous qui sont plus ou moins étudiants et qui me tou­chent de plus près : une des tâches les plus immé­dia­tes serait d’occu­per les écoles, les facultés... [Applaudissements.] Et je ter­mine en vous disant pour­quoi : parce cela fait long­temps que sous le Régime du Bien-être, sous le Régime dont nous pâtis­sons, les cen­tres d’ensei­gne­ments, les Universités, ont été réduits à une seule condi­tion réelle, qui est celle de l’examen : exa­mi­ner, le reste n’est que lit­té­ra­ture. [Applaudissements.] Ils doi­vent exa­mi­ner pour pro­duire ainsi les futurs fonc­tion­nai­res aussi bien du Capital que de l’État ou de l’Université elle-même, qui est aussi un ins­tru­ment de l’État. [Interruption par des chants sur la place]

Donc, et pour finir, ma sug­ges­tion va dans ce sens : occu­pa­tion des cen­tres, leur faire reconnaî­tre qu’ils ne sont là ni pour ensei­gner ni pour recher­cher ni pour rien d’autre qui ne soit exa­mi­ner, exa­mi­ner et pro­duire de futurs fonc­tion­nai­res. Ils sont en train de créer votre futur, en cela il ne vous trompe pas, et l’action la plus immé­diate, quelle peut-elle être ? : eh bien natu­rel­le­ment la des­truc­tion, le boy­cott des exa­mens en cours ; par exem­ple, de ceux qui vien­nent de com­men­cer main­te­nant, en mai. Cela vient du cœur. [Applaudissements.] Avec ça, qui peut paraî­tre un peu tiré par les che­veux, mais pas tant si vous y réflé­chis­sez un peu, en se sou­ve­nant que la sou­mis­sion aux exa­mens est sim­ple­ment une sou­mis­sion au futur, que nous, nous n’avons pas de futur, et en se sou­ve­nant que les cen­tres où vous êtes ne sont des­ti­nés qu’à cela, à la fabri­ca­tion du futur et d’une quan­tité donnée de fonc­tion­nai­res, peut-être la pro­po­si­tion ne paraî­tra pas aussi insen­sée. Mais qu’elle vous le paraisse ou non, je vous dis au revoir, en vous répé­tant la joie que cela m’a apporté, si ines­péré et que j’espé­rais pour­tant depuis 65. Salut ! [MERCI !]


 

- Agustin Garcia Calvo est un auteur espa­gnol (phi­lo­lo­gie, théâ­tre, poésie,lin­guis­ti­que,essais et pam­phlets).

Texte et res­sour­ces en espa­gnol

En 1965 il fut des­ti­tué de son poste d’ensei­gnant de Philologie latin-grec de l’Université de Madrid, pour sa par­ti­ci­pa­tion au sou­lè­ve­ment étudiant. Il s’exila par la suite à Paris où il tra­vailla notam­ment comme tra­duc­teur chez les éditions Ruedo Iberico. En 1975, il rega­gna son poste à l’Université de Complutense. Pour l’ins­tant, seules deux bro­chu­res ont été tra­dui­tes en fran­çais et publiées à l’Atelier de Création Libertaire : Contre la Démocratie - Contre la Paix (texte inté­gral à télé­char­ger) et Qu’est-ce que l’Etat ?



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