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G20 à Toronto : arrestations, fouilles, fichage, coups de matraque et incarcération (mon récit)

Anonyme, Martes, Julio 13, 2010 - 22:47

Jean-Nicolas Denis

Après m’être reposé les esprits pendant quelques jours, je me dis qu’il est maintenant temps de mettre par écrit le récit de mon aventure en tant que manifestant lors de la dernière réunion du G20 qui s’est tenue à Toronto, du 25 au 27 juin 2010. Après avoir été violemment brutalisé par les forces de l’ordre, j’y ai été emprisonné pendant environ 26 heures, sans qu’aucune accusation ne soit retenue contre moi.

Je tiens d’entrée de jeu à préciser que je n’étais aucunement là-bas pour faire de la casse ou pour commettre un quelconque acte criminel. En tant que membre de Québec solidaire et militant pour une société meilleure, il me semblait par contre important d’être présent lors de cette réunion pour y dénoncer son caractère anti-démocratique, élitiste et mensonger. J’avais apporté ma caméra numérique dans le but d’y recueillir des images des manifestations, ainsi que des témoignages de camarades que j’avais prévu y rencontrer. C’est effectivement ce que j’y ai fait, mais je n’ai pu conserver ces images.

Cet article se divise en plusieurs parties et traite dans le détail de mon séjour à Toronto, de mon arrivée à mon départ. Le but de ce récit est d’informer l’ensemble des Québécoises et des Québécois sur ce qui est véritablement arrivé à Toronto, tant dans mon cas que pour des centaines d’autres personnes. Il est, je crois, représentatif, bien que plusieurs personnes aient vécus une expérience encore plus pénible que la mienne.

Mon récit jusqu’à l’arrestation

Je suis parti de Québec, par autobus voyageur, vendredi le 25 juin 2010, à 20h00. Je fis le voyage accompagné d’une amie de Lévis. Après un transfert à Montréal (Berri-UQAM), un second autobus nous amena jusqu’à Toronto. Nous y sommes arrivés vers 6h30, samedi matin. Le voyage dura en tout environ 11 heures, durant lesquelles nous avons peu dormis.

Dès notre arrivée, nous avons décidé de visiter les lieux. Nous sommes allés dans le Quartier Chinois, un lieu fort intéressant : la décoration est magnifique, les restaurants attrayants, les commerces plutôt bizarres. La superficie du Quartier est au moins 5 fois plus grande qu’à Montréal. C’est un must si vous allez visiter la ville.

Après cette marche touristique d’environ une heure, nous décidâmes qu’il était temps de passer aux choses sérieuses : nous n’étions pas à Toronto pour y faire du lèche vitrine ; nous avions un gouvernement de plus en plus anti-démocratique à contester, des idées, des valeurs et des solutions à proposer.  Nous avons donc décidé de marcher de long en large University Avenue, la rue principale reliant d’une extrémité à l’autre Queen’s Park (où se trouve le parlement de l’Ontario) et la Zone Sécuritaire où les dirigeants internationaux allaient se réunir.  Nous avons alors rencontré deux Montréalais francophones (qui étaient dans le même autobus que nous, sans qu’on ne les connaisse) avec qui nous avons décidé de marcher.  Près de Queen’s Park, nous avons eu la chance d’être interceptés par des policiers.  Ils arrêtèrent leur véhicule près de nous, débarquèrent, nous ordonnèrent de nous immobiliser.  Ils nous ont demandés d’où on venait, pourquoi on parlait français, etc.  Ils ont ensuite fouillé nos sacs à dos, n’y trouvant rien de répréhensible.  Ils me confisquèrent une bouteille de vinaigre de cidre : ils nous ont dit qu’ils confisquaient tout ce qui pouvait être un quelconque produit chimique.  Je n’ai pas protesté (ça n’aurait servi à rien).  Pendant la fouille, ils demandèrent à nos nouveaux compagnons pour quelle raison ils portaient un t-shirt et une camisole noirs : « pour ne faire qu’une brassée » répondit la demoiselle de Montréal.  Un journaliste, avec un badge d’identification, arriva alors sur les lieux et commença à prendre des photos de l’évènement.  Immédiatement, un policier lui ordonna d’arrêter :

- P : « Stop it! »
- J : « Why? »
- P : « You don’t have the right to do that. »
- J : « Yes I have, it’s my job! I’m a journalist! »
- P : « Stop it right now ! »
- J : « No, I won’t ! »

Les policiers ne l’arrêtèrent pas.  L’intimidation n’avait pas fonctionné, le journaliste savait très bien que les policiers ne pouvaient l’arrêter sans raison, ni le censurer.  Il continua de prendre autant de photos qu’il le voulait ; les policiers tentèrent de cacher leur visage, sans succès.  Ils revinrent ensuite à nous, puis nous expliquèrent la différence entre « to protest » et « to manifest », le premier étant légal selon eux, le second illégal.  Sur le coup je n’ai pas compris la différence.  Ils nous laissèrent ensuite partir, nous suggérant de ne pas participer aux manifestations, pour notre sécurité…  Nous sommes repartis visiter Queen’s Park, y prenant quelques photos du parlement ontarien, puis nous nous sommes arrêtés 5 minutes pour accompagner quelques personnes faisant de la méditation dans le parc.  Ce fut très relaxant.  J’ai pris une magnifique photo de mes compagnons immobiles.

Après Queen’s Park, nous avons décidé d’aller faire le tour du quartier sécurisé, pour voir à quoi cela ressemblait. Durant notre périple, nous avons été interceptés trois autres fois, en moins d’une heure. À chaque fois, ils fouillèrent nos sacs à dos, ne trouvant rien de répréhensible. À chaque fois nous leur avons dit que nous avions déjà été fouillés. Après une troisième fouille en si peu de temps, nous avons tout simplement décidé de quitter les lieux, pour retourner à Queen’s Park, là où était supposé avoir lieu la grande marche pacifique vers midi. (À noter : il était tout à fait permis de se promener dans les rues près du secteur sécurisé, plusieurs travailleurs y circulaient, ainsi que des centaines de touristes. Nous avons rencontré des policiers au Tim Horton. C’était une matinée très calme, mais l’atmosphère était étrangement lourde.)

Vers 11h00 am, nous étions de retour à Queen’s Park, là où la ville de Toronto avait donné des autorisations officielles pour que le lieu soit utilisé pour les discours et les rassemblements durant toute la fin de semaine (la ville de Toronto y avait même installé une vingtaine de toilettes chimiques bleues). À notre arrivée, les journalistes y débarquaient leur matériel et les différentes organisations citoyennes, provenant de partout au Canada (et même de d’autres pays), commençaient à s’y rejoindre. Les groupes marchaient dans les rues, en chantant, en jouant de la musique, en criant des slogans engagés !  L’atmosphère était à la fête.  C’est alors que j’ai croisé Emilie Guimond-Bélanger, marchant et chantant dans la rue, s’en allant rejoindre la section de la marche qui était réservée aux femmes manifestant pour l’égalité des sexes et le droit à l’avortement dans les pays en voie de développement.  Seul bémol : les dizaines de policiers, aux extrémités du parc, nous rappelaient tristement leur présence.  Big Brother was watching all of us : on ne le savait que trop !

La grande marche a débutée quelques dizaines de minutes après midi. Nous avons traversé University Avenue sur son long. Nous étions plusieurs milliers de marcheurs, peut-être plus 10 000 en tout !  Rendu devant le Consulat des USA, j’ai été témoin (et j’ai filmé) une scène des plus intimidante. L’avenue était alors séparée en deux voies (chacune allant dans une direction). Le côté droit, où se trouvait le Consulat, était protégé par une double barrière de métal, puis par au moins une trentaine de policiers anti-émeute, secondés par 3 ou 4 policiers armés chacun d’un fusil shotgun noir et orange (probablement des fusils à balles de caoutchouc), puis quelques officiers semblaient superviser… les policiers immobiles. Sans qu’il n’y eut aucune violence, aucune forme d’agression de la part des manifestants (qui passaient à côté du Consulat en chantant), on vit tout d’un coup la porte d’un bâtiment adjacent s’ouvrir, puis 5 policiers armés de fusils mitrailleurs Mp-5 en sortir. Ils se positionnèrent en arrière, près des officiers. Au moins le tiers des manifestants passant à chaque instant devant le Consulat pouvait les remarquer. J’ai filmé l’arrivée des soldats… pardon, des policiers armés. Le contraste [instruments de musique] vs [fusils mitrailleurs] était fort troublant. On a appris quelques heures plus tard que ces policiers provenaient de Montréal (nous leur avons posé la question, puis ils nous l’ont répondu, en français).

À au moins une centaine de mètres de la clôture de sécurité, la marche tourna pour prendre une rue perpendiculaire (probablement Queen Street, selon ce que j’ai pu lire à mon retour au Québec). Là-bas nous avons continué de marcher, pacifiquement, le long de dizaines de petits commerces. La marche a fini par se séparer à un moment donné, un groupe continuant de marcher dans la ville en chantant, un autre se rendant devant un groupe de policiers pour faire un sit-in, crier des slogans, etc. À noter : jamais nous n’avons eu la possibilité d’approcher la clôture de sécurité.

Je suis alors resté en arrière, à plusieurs dizaines de mètres des policiers, car je craignais que ces derniers ne réagissent violemment (mon contact avec les policiers lors des fouilles du matin m’avait mis la puce à l’oreille). C’est alors que je vis une scène fort étrange : un véhicule de police arriva d’une rue à proximité et décida de traverser l’ensemble des manifestants qui se trouvaient sur Queen Street, lumières et alarme activées. J’ai aussi filmé cet incident. Nous étions des centaines de manifestants à se demander pourquoi les policiers agissaient d’une façon si peu cohérente, en plus d’être dangereuse (pour les piétons qu’ils pouvaient accrocher au passage). J’appris beaucoup plus tard que ces policiers abandonnèrent leur véhicule en plein milieu de la manifestation…

Environ 20 minutes après l’arrivée de la voiture de police, j’ai filmé un groupe d’une vingtaine de policiers, peut-être un peu plus, qui s’étaient retrouvés en plein milieu de la manifestation, sans raison apparente. Ils étaient probablement en lien avec le véhicule qui avait traversé la foule. Environ 200 manifestants chantaient des chansons d’amour autour d’eux, ainsi que des slogans comme celui-ci : « We are peacefull, what about you ? ».  Les manifestants levaient la main, puis pointant vers eux scandaient « This is what democracy looks like ! », puis pointant ensuite dans la direction des policiers « This is what hypocrisy looks like ! ».  Après un moment, les policiers décidèrent de quitter les lieux, en avançant tranquillement vers une rue perpendiculaire où se trouvait une ligne d’anti-émeute (sur Peter Street ou John Street). Aucun policier ne fut agressé. Quelques manifestants furent poussés, tout au plus. Des dizaines de personnes, manifestants et journalistes, filmèrent cet événement. Le désir de non-violence des manifestants était impressionnant.

Ce n’est qu’en quittant les lieux, vers 16h00, que je rencontrai à nouveau Emilie, près de Soho Street. Elle se trouvait là avec un autre de mes amis. C’est à ce moment-là que je vis une vitrine cassée dans un Starbuck : si je me rappelle bien, ce fut la première et la dernière vitrine que je vis être endommagée (c’est dire à quel point ce genre d’incidents était rarissime!). Nous décidâmes d’aller prendre une bière au Village Idiot Pub – Pub de l’Idiot du Village (dans les deux langues), mais avant, je devais aller rejoindre une amie à Queen’s Park. C’est en allant là-bas que j’ai constaté qu’une des entrées du parc était fermée par les policiers, sans raison apparente. Les gens dans le parc y étaient assis, discutaient, mangeaient, etc. Il y avait des dizaines de journalistes !  M’y rendant par une autre rue, j’entendis les policiers commencer à ordonner de quitter les lieux. Je ne me suis pas fait prier : c’est à ce moment-là que j’ai compris que la répression policière devenait violente et massive. J’ai cherché dans le quartier adjacent mon amie, sans succès. Je suis alors retourné rejoindre mes camarades au pub, où on a soupé. Plus tard, l’amie que je cherchais nous a contacté par cellulaire et est venue nous y rejoindre.

Mon arrestation

Après le pub, nous avons décidé de retourner voir où en étant l’invasion de Queen’s Park. En arrivant là-bas, on constata que les véhicules de la police quittaient les lieux et que tout semblait revenir au calme. Il était alors 21h30, environ. Une ligne de policiers bloquait encore l’entrée à Queen’s Park par College Street. C’est alors qu’on vit deux femmes qui étaient assises devant les policiers, contestant silencieusement la répression qui avait lieu depuis la fin de l’après-midi. Quelques personnes sont allées rejoindre les deux femmes, assises dans la pluie. C’est alors que les policiers ont expliqué à ces personnes que College Street et Queen’s Park allait bientôt être rouverts, puis qu’ils seraient arrêtées s’ils refusaient de se lever dans 15 minutes. Le délai écoulé, toutes les personnes quittèrent les lieux sans histoire, sauf une. Les policiers lui sautèrent dessus à plusieurs, la retournant et l’écrasant sur le sol très violemment : j’ai filmé la scène. Mais c’est alors qu’au moins 20 policiers dépassèrent l’arrestation et levèrent leur bouclier pour nous empêcher de filmer. Un policier avec une bicyclette se plaça juste devant moi, me cria « Get back ! » et m’asséna un violent coup de guidon dans le ventre !  J’ai alors reculé en disant au policier « Sir, you kick me, you don’t have the right to do that ».  J’ai continué de reculer jusqu’à ce que les policiers s’immobilisent. Ils avaient formé une ligne, ne bougeaient plus et ne disaient plus rien. Nous étions à plusieurs mètres de distance, comme ils nous l’avaient ordonné. Tout semblait calme à nouveau. C’est alors que j’ai demandé au policier, très poliment : « Sir, may I have your name and your badge, please ? ». Il a répondu en criant « Catch him ! ». Assurément, ils ont vu la surprise dans mon regard : le gars qui faisait tout pour éviter les ennuis et qui allait finalement se faire arrêter. C’était incompréhensible. Il était alors 22h30, environ.

J’ai levé les mains et j’ai dit « I am peaceful, I surrender ».  J’ai vu deux policiers sortir du rang et sauter dans ma direction. Ils m’ont attrapé, m’ont fait une jambette, puis m’ont mis le visage sur le trottoir mouillé. Je coopérais, sans aucune résistance, faisant le mollusque. Un policier a mis son poids sur mon épaule droite, probablement avec son pied. Un policier a crié « Do not resist ! » et m’a donné un coup de matraque derrière la tête, derrière mon oreille droite. J’ai dit très fort « I do not resist, I surrender ».  Il a crié à nouveau « Do not resist ! » et m’a frappé encore au même endroit.  J’ai répondu « I am peaceful, I do not resist ! ».  Il m’a crié à nouveau de ne pas résister, puis m’a frappé le bras droit.  J’ai répondis la même chose.  Il m’a encore crié de ne pas résister, puis m’a frappé une 2e fois le bras droit, puis j’ai crié encore que je me rendais et que j’étais pacifique.  Et finalement, il a pris ma caméra de mes mains, m’ont arraché mon puncho sur le dos, m’ont enlevé mon sac à dos, puis m’ont menotté.  Ensuite, ils m’ont relevé et m’ont assis dans les marches à l’entrée d’un bâtiment.  Le policier qui m’avait frappé avec sa bicyclette s’est alors penché devant moi, m’a regardé dans les yeux et m’a dit une phrase que je n’oublierai jamais : « Now, do you still want my name and my badge ? ».  Je n’ai pas répondu à cette question, mais j’ai répondu à toutes les autres questions par la suite (pour remplir les documents d’arrestation).

Une demi-heure plus tard, j’étais amené dans un fourgon de la police. J’y ai retrouvé un ami, arrêté pour une raison similaire. Après une autre demie-heure à nous promener dans la ville (nous avions de la difficulté à y respirer, car l’air y était très chaud, même si nous n’étions que deux, le véhicule pouvant en contenir 4 ou 5), ils nous ont débarqués et nous ont changé les menottes pour des Ty-wraps (très serrées : une semaine plus tard j’ai encore des coupures sur le poignet droit). Ils nous ont aussi installé des menottes aux pieds. Nous avons ensuite été transférés dans un très gros panier à salade (pouvant contenir environ 25 personnes). Puis nous partîmes en direction des Studios de cinéma de Toronto (Centre d’incarcération).

Les conditions d’incarcération

Je n’entrerai pas dans les détails concernant les conditions d’incarcération, car Emilie Guimond-Bélanger en a déjà donné un excellent aperçu lors de sa conférence de presse ( http://www.youtube.com/watch?v=TGjlHWarXeg ), en plus d’avoir vécu des conditions différentes des miennes (notamment les fouilles à nu). Ces conditions étaient horribles et inhumaines. Je suis certain qu’elles n’étaient pas dans les règles de l’art (le probable recours collectif ou une possible enquête publique pourront le démontrer).

En arrivant, nous vîmes des cages à chien d’environ 4 mètres de large, par 10 mètres de long et de 2.5 mètres de haut. Il devait y avoir entre 15 et 25 personnes dans chaque cage, ainsi qu’une toilette chimique orange sans porte (on voyait très bien les gens qui allaient aux toilettes). Devant une scène si humiliante, les personnes à bord du fourgon n’ont pu retenir une espèce de rire nerveux, causé par le stress. On ne pouvait pas croire qu’on allait tous se retrouver dans la même situation, c’était inconcevable pour ce qu’on avait fait… Finalement on s’y est tous retrouvé.

Le studio était immense. Il y avait au moins une quinzaine de cellules de la même grosseur, avec la toilette sans porte. Un policier m’enleva mes menottes aux pieds, puis m’amena lire une affiche à l’entrée nous informant qu’on était constamment filmés et que nos discussions étaient enregistrées (plusieurs n’ont pas eu l’occasion de la lire et l’ont su que plusieurs heures plus tard). Puis il m’amena jusqu’à ma cellule, avec d’autres personnes. Ils ne nous ont pas détaché les mains. Je m’y suis immédiatement assis. Nous étions 26 personnesDenis: la cellule était trop petite pour qu’on puisse tous êtres couchés en même temps. Dans la cellule en face de nous, les gens ont crié à répétition qu’ils étaient 40 (ils ont exigé d’être changés de cellules pendant plus de 10 heures de temps). On ne pouvait voir les gens dans les autres cellules, mais plusieurs personnes se parlaient d’une à l’autre. Il y avait un fort sentiment de solidarité entre les oppressés.

Les personnes dans ma cellule provenaient de plusieurs milieux sociaux, groupes et n’avaient pas tous été arrêtés au même endroit. Il y avait notamment trois journalistes, dont 1 de CTV, Denis : ils blaguèrent ironiquement, en arrivant, en disant « ok, ils nous font visiter les cellules, ça va faire un bon reportage quand on va sortir ».  Ceux-là ont gardé le moral tout le long, sachant qu’ils ne pourraient jamais être accusés de rien.  Mais d’autres avaient vraiment peur.  Certains passèrent des heures sans rien dire, assis ou accotés dans un coin de la cellule.  J’étais le seul francophone dans cette cellule, alors je n’avais personne à qui parler.  J’ai pratiqué mon english comprehension.

Il faisait très froid. Nous avions près de notre cellule l’entrée d’air qui était ensuite projetée dans le restant du bâtiment pour le refroidir. Il devait faire entre 10 et 12 degrés Celsius. Plusieurs personnes avaient des habits très peu chaud, comme des culottes courtes (c’était mon cas). J’adore la fraîcheur, je suis très sensible à la chaleur en fait, mais j’ai quand même eu très froid. Les policiers refusèrent de nous donner des couvertures, un manteau ou de quelconques habits chauds. Le meilleur moyen d’être au chaud aurait été de nous collés ensemble, mais on était tous des hommes et on n’osa jamais le faire pour des raisons de virilité (merci à l’identité masculine occidentale!). Il ne restait qu’à s’accoter sur la toilette chimique, plus chaude, car en plastique. Pour essayer de dormir, il fallait se coucher sur le béton encore plus froid et très humide. Et il y avait aussi les néons qui étaient ouverts en permanence, ainsi que les policiers qui se promenaient entre les cellules en criant des noms de prisonniers.

Il fallut attendre environ six heures avant de recevoir de l’eau (en passant, un prisonnier avait été incarcéré avec sa montre : jusqu’à son départ, dimanche en fin de journée, on a su quelle heure qu’il était). Mais les policiers ne nous en donnèrent pas en pleine générosité : pendant plusieurs minutes, des gens, dans toutes les cellules, donnèrent des coups de pieds dans les grilles en criant « We want water » avant que les policiers n’acceptent. Et ils apportèrent un gros bidon, puis nous donnèrent un petit verre en styromousse d’eau chacun. Ils refusèrent de nous en donner plus, même à ceux qui avaient clairement l’air déshydratés ou malades (on leur a donné en partie notre eau). On a ensuite reçu de la nourriture, une heure plus tard : un sandwich de pain blanc avec une tranche de fromage kraft. J’ai mangé ce sandwich et je me suis immédiatement senti mal. J’ai reçu trois autres sandwichs durant le restant de l’incarcération : je les ai gardés dans mes poches, puis j’en ai donné deux à d’autres prisonniers qui mourraient de faim. Par la suite, je n’ai rien mangé sur une période d’au moins 15 heures.

Après une dizaine d’heures, ils nous ont donné du papier de toilette. Mais ils ne nous ont pas enlevé les Ty-wraps pour qu’on puisse l’utiliser. Quelques heures plus tard, vers le milieu de l’après-midi de dimanche, mes compagnons de cellule se sont inquiété pour moi, car j’avais beaucoup de sang derrière la tête, là où j’avais reçu les deux coups de matraque. J’avais aussi une grosse bosse sur la tempe droite, ainsi qu’un très gros mal de tête qui venait et repartait constamment. J’ai alors demandé à aller voir le docteur.

- Policier : « You must answer me clearly : do you want to see the doctor, yes or no ? »
- Moi : « Yes, I want to see the doctor. »
- Policier : « Ok. It is now an obligation for me to escort you to a doctor » ou une phrase similaire, voulant dire la même chose.

Je pus alors sortir du Studio de cinéma et être au soleil (en fait, à l’ombre à cause du bâtiment, mais c’était fort réconfortant quand même). À côté de moi, il y avait une jeune femme d’environ 18 ans qui était dans un profond état de choc : elle portait un habit vert étrange, était menottée aux poignets, ainsi qu’aux chevilles, avait la tête baissée, ses cheveux pendaient à côté de son visage, puis je voyais ses larmes tomber sur le sol.  C’était une scène troublante.  Plus loin, une femme se faisait prendre le pouls.  Elle nous vit et nous dit, avec une voix calme et emplie de conviction : « Never forget : they can break your bones, but they CAN’T break your mind ! ». Marquant.

Le médecin me passa en examen quelques minutes plus tard.  Il était grès gentil.  Mais des policiers étaient avec lui pendant l’examen, ce qui faisait en sorte que la situation ne pouvait pas être pleinement relaxante. Il considéra que je n’avais pas besoin de points de suture pour la coupure d’environ trois centimètres derrière l’oreille droite, puis que je ne devais sûrement pas faire de commotion cérébrale. Il me donna une bouteille d’eau, ainsi qu’une Advil et une Tylénol pour la douleur et ma migraine. Je suis ensuite retourné en prison, mais un policier eu l’amabilité de couper mes Ty-wraps, puis de m’en installer des nouvelles beaucoup moins serrées (j’ai même réussi à en enlever une pour aller aux toilettes par la suite!), avant de me remettre avec mes camarades de cellule.

Vers la fin de la journée de dimanche, ils commencèrent à venir chercher des personnes dans nos cellules, pour les amener ailleurs (on ne savait pas où, ils refusaient de nous le dire). Après plus de 22 heures d’incarcération, j’étais devenu le dernier dans ma cellule. C’était la nuit, il recommençait à faire très froid. J’ai demandé si j’allais bientôt changer de cellule, comme les autres qui étaient partis. On me répondit qu’on ne pouvait pas me le dire. J’ai demandé des vêtements plus chauds : on m’a dit que j’allais en avoir, mais personne ne revint pour m’en donner. Je me suis finalement résolu à me coucher sur le béton. Puis on vînt me réveiller environ une heure plus tard.

On m’amena rencontrer un détective dans un bungalow, devant une caméra. Il me posa quelques questions et me dit que je devais attendre avant de savoir si j’allais passer devant un juge. Un policier parlait alors français et me faisait en partie la traduction, seulement quand je le demandais explicitement. Puis on m’amena dans une autre cellule, où il y avait quelques francophones. L’un d’eux demanda à un policier quand on allait être relâchés. Il se fit répondre : « In nineteen days » (dans 19 jours). Mais à peine une ou deux heures plus tard, deux policiers vinrent me réveiller : « Denis, wake up, you’re going home ».  Et moi de répondre : « Yeah, right, you’re kidding ? ».  « No, for real, you can return to Quebec ».  Ils m’amenèrent dans une salle où je vis des gens sortir d’une cellule après avoir écouté un policier leur lire une feuille en anglais, se faire prendre en photo, puis ramasser leurs affaires dans un sac de plastique transparent.  Ils furent ensuite amenés à la sortie.  Je vis alors mon ami qui avait été arrêté en même temps que moi.  J’ai eu droit à la même lecture (nous interdisant de participer à une autre manifestation dans les limites de la ville de Toronto dans les prochains jours), puis ils me prirent en photo et m’amenèrent à l’extérieur du Centre d’incarcération.

Après avoir été libéré de prison

Rendu dehors, je fus accueillis par un comité d’accueil. On m’applaudit. Des journalistes prirent des photos. Et on me donna même une pointe de pizza végétarienne aux champignons : DÉLICIEUSE !  J’étais très heureux. J’ai alors sorti mes affaires du sac de plastique transparent. C’est alors que j’ai constaté que ma caméra numérique semi-professionnelle ne s’y trouvait pas. J’avais par contre la pochette de la caméra, vide, ce qui était fort ironique. J’en ai informé un policier : il est retourné dans la prison, est revenu 30 minutes plus tard, m’a dit que la caméra avait été perdue dans le processus d’incarcération, puis que c’était de la faute des policiers.  Il me donna un numéro de téléphone pour rejoindre le « Property Bureau » : en fait ce n’était ni le bon numéro, ni le bon nom pour l’organisme (qui s’appelle le « Property and Evidence Management » du service de police de Toronto). Au moment où j’ai quitté les lieux, deux policiers étaient apparemment en train de chercher ma caméra dans les Studios. Lorsque je vais faire ma « claim » (réclamation), ils sont supposés me la rendre ou me la rembourser. On verra…

J’ai pu dormir chez deux personnes de Toronto, qui nous hébergèrent généreusement. J’étais alors avec mon ami, incarcéré en même temps que moi. Ce sont les personnes du comité d’accueil à la sortie de la prison qui nous mirent en contact. Ces gens étaient vraiment motivés. En arrivant, avant d’avoir la chance en or de prendre une douche, nous avons pris des vidéos de mes blessures : très grosse coupure derrière l’oreille droite, un gros bleu sur le bras droit, beaucoup de peau arrachée et de sang sur la jambe droite, des coupures sur mon poignet droit, etc.

Le lendemain, nous sommes allés au Dufferin Grove Park pour y utiliser un lift organisé par la CLAC (Convergence des Luttes Anti-Capitalistes). À 15h30, les bus sont arrivés. À 15h40, deux policiers en moto se sont stationnés derrière les bus jaunes. À 15h45, on constata que plusieurs policiers en civil étaient dans le parc et nous prenaient en photo. À 15h50, deux policiers en civils installèrent des caméras pour filmer les lieux, dont une sur le toit d’un bâtiment. Tout cela s’est fait sans qu’on ne voit aucun véhicule s’immobiliser près du parc. Tout fut très rapide.

Les policiers en moto nous escortèrent jusqu’aux limites territoriales de la ville de Toronto, une moto devant le premier autobus, l’autre moto derrière le dernier autobus. Les motos finirent par se rejoindre sur l’autoroute, puis ils prirent une sortie. Mais c’est alors qu’on remarqua un 4x4 avec les fenêtres baissées à côté de nous : il était rempli de policiers qui nous envoyaient la main pour nous faire des « bye bye ». Nous étions paralysés. Personne n’a rien dit, ni bougé. Ils ont fini eux aussi par s’éloigner. Puis on a fait environ 8 heures d’autobus pour rejoindre Montréal. Moi et mon ami on a alors pris de justesse le dernier bus voyageur en direction de Québec. À 4h00 am j’étais chez moi, devant mon ordinateur, un café à la main, informant mes amis que j’étais encore en vie.

Conclusion

Je retiens de cette mésaventure un profond sentiment d’injustice. L’impuissance ressentie en prison, lorsqu’on perd toutes formes de liberté, est atroce. Plusieurs personnes craquaient, des hommes autant que des femmes, puis je les comprends très bien. Ce fut certainement une expérience enrichissante, en cela qu’elle me permit de mieux comprendre, de vivre, ce qu’est un État totalitaire et répressif, voire fasciste. Mais j’aurais préféré l’apprendre autrement qu’en étant matraqué, traumatisé et censuré.

Je retiens aussi que le Canada bilingue est un phantasme politique qui est mort en même temps que Trudeau. Il faudrait cesser de nous enfouir la tête dans cette illusion. Si les coups de matraques font autant mal en anglais qu’en français, les ordres, l’interrogatoire, les menaces, l'harcèlement, l’intimidation et même les réponses à nos questions font bien plus mal dans la langue de ceux qui nous méprisent ! Ils fichaient les Québécois et les francophones, s’assuraient qu’ils soient davantage victimes de l’oppression, si l’on se fie aux dizaines de témoignages sur le sujet ! Alors on ferait peut-être mieux de s’en souvenir la prochaine fois qu’il sera question de fédéralisme asymétrique et d’indépendance du Québec.

Je retiens aussi que le Canada a un très gros problème sur les bras. Sa démocratie est malade et elle a craché pas mal de sang durant cette fin de semaine. Les arrestations violentes, traumatisantes, de masse et sans accusation, bref complètement illégitimes, dépassent le nombre de celles effectuées lors de la Crise d’Octobre, au Québec, en 1970. Mais en 1970, des boites aux lettres avaient explosé, un ministre avait été kidnappé. Au contraire, cette fois-ci, les experts s’entendent pour dire qu’il n’y a eu aucune menace terroriste et que les chefs d’État n’ont jamais été en danger. La clôture de sécurité n’a même jamais été attaquée, comme cela avait été le cas à Québec en 2001 !  Dans un tel contexte, était-il normal d’effectuer une répression si puissante et arbitraire, allant à l’encontre des droits humains reconnus par les chartes ? Je ne crois pas. Cette situation, mise en place progressivement par Harper et son gouvernement de Conservateurs, est des plus préoccupante. Les Canadiens et les Canadiennes ne peuvent plus considérer qu’ils et elles vivent dans une vraie démocratie depuis cette fin de semaine.

Et finalement, j’en retiens qu’Harper va probablement avoir perdu son pari. Pourquoi ? Officiellement, Harper a exigé que le G20 se tienne à Toronto, pour donner de la publicité à la Ville Reine et pour accroître son tourisme.  Échec : les USA ont recommandé à leurs ressortissants d’éviter Toronto durant le G20, les médias dans le monde entier ont décrit le Canada comme un État totalitaire où la police est brutale et n’assure en rien la sécurité, bien au contraire ! Côté marketing, c’est un gros zéro.

De son côté, le maire de Toronto était quant à lui en total désaccord avec cette décision, depuis bien longtemps : Harper lui a fermé la gueule. Pourquoi ? Peut-être parce qu’il voulait justement passer un message à tous ces groupes qui allaient s’y réunir pour contester les changements qu’il coordonne dans notre société : « fermer votre gueule ! ».  Il est question de stabilité économique internationale ? « Ta gueule l’économiste progressiste ».  Il est question du droit des femmes dans les pays en voie de développement, particulièrement de l’accès à l’avortement ? « Ta gueule la féministe (et le féministe aussi) ». Il est question d’exploitation de la nature à des fins économiques ? « Ta gueule l’écologiste ». Bref, les citoyens, fermez vous la dont, sinon c’est la matraque : voilà le message que semble nous envoyer Stephen Harper. Et c’est aussi ce message que nous envoie Steven Blainey, son lieutenant au Québec, ainsi que toute sa bande d’endoctrinés néolibéraux, hypocrites et religieusement conservateurs que certains de nos citoyens ont été assez naïfs d’élire à la dernière élection et qui travaillent, depuis, avec une grande motivation, à réduire à néant notre société, notre culture et notre économie. Ça aussi il faudrait s’en rappeler, à la prochaine élection.

Et le plus important, c’est que si vous ne voulez pas que le message de Stephen Harper porte fruits, fonctionne, affecte notre esprit collectif, eh bien il faudra agir la prochaine fois. Dès maintenant même ! Que ce soit en envoyant des lettres aux journaux, en prenant la parole lors des tribunes à la radio, en devenant membre d’une organisation citoyenne qui défend le bien commun (féminisme, environnement, justice sociale, lutte à la pauvreté, protection de nos libertés civiles, etc.), voire même en prônant et en défendant ouvertement l’indépendance du Québec ! Vous pouvez même devenir membre de Québec solidaire : oui oui, vous le pouvez ! Ce n’est pas la seule façon de combattre ces néolibéraux capitalistes qui veulent vous garder en esclave-consommateurs, mais je vous jure que c’en est une qui est efficace ces temps-ci !

On ne doit pas laisser Harper gagner. On aurait beaucoup trop à y perdre, tant au Québec, qu’au Canada, que sur le restant de notre petite planète. Et nous avons tant à y gagner si nous nous mobilisons !

Jean-Nicolas Denis
Citoyen de Lévis

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They can kill the protesters, but they CAN’T kill the protest !



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