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Inde: Alcan en eaux troubles

tartosuc, Lunes, Abril 19, 2004 - 18:05

Frédéric Dubois

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Montréal, lundi 19 avril 2004 - La décision controversée de fermer les cuves Solderberg, à Jonquière, est un événement qui touche évidemment les Québécois de plein fouet. Les répercussions sur l'économie, le tissu social et les familles des travailleurs de la région sont palpables. Il est moins facile d'évaluer l'impact des décisions d'une compagnie comme Alcan à l'autre bout du monde.

Bien qu'il soit l'un des plus importants producteurs d'aluminium, le Québec n'a pas de bauxite. D'où proviennent alors les quantités toujours grandissantes d'alumine qui font leur entrée dans les ports de Sept-Îles ou Baie-Comeau. De la Jamaïque? De l'Australie? Certainement.

Et de l'Inde?

Utkal et ses opposants

Utkal Aluminium International Limited (UAIL) renifle depuis maintenant douze ans du côté d'une des réserves de bauxite les plus riches du monde, située dans le district du Kashipur de l'État d'Orissa, sur la côte est de l'Inde. Là où l'on retrouve 10% des réserves de bauxite de la planète, UAIL, une alliance stratégique entre l'indienne Indal (55%) et la canadienne Alcan (45%) s'est forgée.

À l'entrée de Kucheipadar, un village d'Adivasis* de 200 familles situé à proximité du plateau Baphlimali, un écriteau sans équivoque clame «UAIL Go Back», puis une plus petite affiche rédigée en Oriya, somme les autorités politiques, policières et la compagnie de faire marche-arrière. Le gouvernement de l'État prétend apporter l'India Shining** à cette région par des projets de ce type. «Ceci est fortement contesté par un paradigme alternatif qui cherche plutôt un accès à, un contrôle sur et une gestion des ressources naturelles pour le développement des peuples autochtones» rétorque Achyut Das, directeur de l'ONG locale Agragamee.

Depuis 1996 le PSSP, groupe de base rassemblant des milliers de villageois de la région, s'évertue à conscientiser les habitants face aux méfaits qu'entraînerait ce projet destiné à 100% à l'exportation. Ce qui devait être une résistance battue d'avance est devenue en l'espace de douze ans, soit depuis les premières incursions d'UAIL, une forte lutte sociale aux ramifications internationales.

Cela s'explique notamment par la visite, un 16 décembre 2000, d'un peloton de 150 policiers anti-émeute, dans le petit village de Maikanch situé en bordure du plateau. Devenu tristement célèbre suite à la tuerie de trois villageois et de nombreux blessés, cet événement n'a cessé d'alimenter une dissidence grandissante. Ce fut le point tournant pour la compagnie Norsk Hydro, originalement détentrice de 33% des parts du projet, qui a plié bagages, cédant à l'opinion publique norvégienne. Une enquête judiciaire a été menée mais la Haute Cour d'Orissa refuse jusqu'à présent de rendre son contenu public.

Impacts appréhendés

La chaîne de montagnes Baphlimali qui surplombe le plateau est considérée comme une divinité dans la tradition spirituelle du peuple Paroja-Khonda, qui se manifeste notamment par un pèlerinage annuel à l'occasion du festival Mali. Celui-ci attire des habitants des 42 villages qui dépendent directement des eaux, de la forêt et des terres cultivables que leur assure le plateau et ses nombreux cours d'eau adjacents.

Tout au long de l'année, les pluies dilluviennes sont progressivement délivrées aux villages entourant le plateau. L'extraction causeraient des déplacements de pans entiers de terres. Advenant la construction d'une raffinerie d'alumine, celle-ci monopoliserait des volumes d'eau importants. C'est pourquoi les villageois craignent un déséquilibre de leur écosystème et un assèchement des cours d'eau. La désertification provoquerait des glissements de terrain et innondations-éclairs, la perte conséquente de terres cultivables et espaces forestiers.

Les boues rouges rejetées par les installations risquent de déverser jusqu'à 150 tonnes d'hydroxide de sodium dans le sol quotidiennement. La conséquence de ce déversement entraînerait des niveaux de pH au-delà des niveaux acceptables, ce qui à son tour, causerait un perte de végétation et d'habitats naturels à grande échelle. Alcan prétend pouvoir contrer ce phénomène de dégradation grâce à un mélange de sol manufacturé à base de cendres, boues rouges et résidus de bois.

Une étude environnementale a été menée par Engineers India Ltd en collaboration avec des centres de recherches indiens. Les conclusions sont toutefois inaccessibles, bien que la multinationale Alcan dit avoir vu le document circuler chez UAIL.

UAIL promet un emploi par famille affectée, ce qui n'inclut pas les familles pauvres dépossédées. «À mes yeux il serait approprié de parler de 'déplacement indirect' pour ce groupe. Ils sont forcés de quitter de facto, mais sans que la compagnie prennent de responsabilité pour eux» raconte le norvégien Tarjei Leer-Salvesen, ancien de NorWatch et journaliste qui suit le dossier depuis neuf ans.

Parlant des habitants de la région qui devront être déracinés, Jeremy Lee Jonas, vice-président à la planification et stratégie chez Alcan, soutient que «propriétaires ou pas, ils vont avoir une compensation». Cette affirmation semble toutefois contredire les chiffres avancés par la société qui persiste à dire que seulement 147 familles se verront indemnisées.

Bien que ce chiffre pourrait être juste en ce qui concerne les gens directement touchés, il passe sous silence la masse d'Adivasis qui dépendent de la terre, soit les petits propriétaires privés, les paysans sans terre et ceux qui bénéficient de ressources de propriété collective. La compagnie a avancé le chiffre de 1750 familles propriétaires mais n'a jamais estimé le nombre de personnes qui cultivent sur des terres collectives ou privées ne leur appartenant pas. En tout et partout, UAIL aura affirmé par ses rapports antérieurs que presque 1900 familles seront affectées, tandis que le chiffre d'indemnisés stagne à 147.

Les estimations des mouvements sociaux tel le PSSP et des ONGs du Kashipur soutiennent que 9000 personnes pourraient être affectées directement et indirectement, tandis que NORAD, l'agence de coopération internationale norvégienne s'est ralliée à un rapport indépendant augmentant la mise à 60'000 personnes.

Retour d'ascenseur

À Toronto, les membres de Mining Watch Canada suivent avec inquiétude le dossier, tandis qu'à Montréal, une campagne nommée Alcan't in India mobilise. La période des assemblées générales d'actionnaires (AGA) est arrivée et avec elle, son lot d'investisseurs-activistes qui promettent de montrer leurs dents à Travis Engen, pdg d'Alcan. Le 22 avril, une manifestation massive est d'ailleurs attendue devant l'AGA à Montréal. «Ce n'est pas pour notre propre agenda que nous organisons cet événement mais pour amener la voix des personnes déshéritées du Kashipur dans les couloirs de décision d'Alcan» prétend Abhimanyu Sud du groupe Alcan't in India.

Le Regroupement pour la responsabilité sociale des entreprises (RRSE), qui conseille de nombreuses communautés religieuses dans leurs choix d'investissement, est quant à lui dans le dossier depuis près de trois ans. Ce groupe social qui avait fait la une pour son opposition au projet du Suroît d'Hydro-Québec a même mis sur pied un «comité Alcan» pour scruter à la loupe les développements de cette compagnie, surtout dans le contexte indien. Par rapport à la consultation des habitants du Kashipur, Claude Grou, responsable du service à la pastorale de l'Oratoire St-Joseph et membre du RRSE, cherche des réponses: «On veut s'assurer, on veut mieux savoir quels mécanismes de vérification sont mis en place».

Angad Bhalla, réalisateur du documentaire UAIL Go Back est toutefois catégorique en ce qui a trait à la volonté de la population locale. «Le 29 décembre 2000, une rencontre publique officielle de représentants élus de 24 conseils de villages «officiellement touchés», fut conviée à l'initiative du gouvernement. Les 22 représentants présents ont alors passé une résolution contre l'établissement de ce projet».

S'il est difficile d'obtenir un portrait clair de la situation, il est d'autant plus important de presser les autorités indiennes et la compagnie à rendre public les études d'impact environnemental et socio-économique. Le mégaprojet devrait attendre que les populations pauvres Paroja-Kondha prennent connaissance de l'ensemble des données. Suite à quoi, ces derniers auraient à choisir, en fonction de leur propre définition du progrès.

Une information de dernière minute obtenue du journaliste Suresh Nair du Economic Times le 14 avril 2004, stipule cependant que «des fonctionnaires dans le gouvernement d'Orissa ont confirmé que Utkal Alumina International (UAIL) a débuté le travail de réhabilitation et de réinstallation aux sites de la mine et de l'usine».

fred...@cmaq.net

*Adivasi est le terme général employé pour désigner les membres de peuples tribaux de l'Inde. Il s'agît de peuples chérissant leurs propres spiritualités, coûtumes, modes de vie millénaires.

**India Shining fait référence à un concept largement répandu dans la sphère politique et médiatique indienne qui se veut l'expression du progrès, de l'avancée technologique et du succès économique de l'Inde.

Frédéric Dubois est journaliste auprès de plusieurs médias alternatifs et indépendants. Séjournant en Inde au début 2004, il a réalisé plusieurs reportages sur les mouvements sociaux et les médias.

Site du mouvement du Kashipur
www.saanet.org/kashipur
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