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La misère au masculin : lorsque la pointe visible cache l’iceberg d’un phénomène toujours majoritairement féminin...

Yannick Demers, Miércoles, Octubre 1, 2003 - 14:44

Yannick Demers

Il peut être souvent assez difficile d’être un homme. Le statut préférentiel dont ont hérité les hommes, surtout s’ils sont blancs et hétérosexuels, a une contrepartie : une féroce compétition à l’intérieur de la classe masculine, à savoir qui sera le meilleur, et donc de nombreux facteurs d’exclusions pour ceux qui ne tiennent pas la route. Avec pour conséquence que les hommes sont surreprésentés à la fois dans les catégories de gens possédant le plus de pouvoir et dans celles des gens les plus mal-en-point. D’où certains faits alarmants : un très haut taux de suicide accomplis, une présence majoritaire dans la forme d’itinérance la plus visible. Ces cas lourds conjugués au masculin ont de quoi mobiliser l’attention des services publics socio-sanitaires, les services d’intervention de crise, dans la relation d’aide au quotidien et dans ce que nous pourrions appeler les activités de « pansement social ». Avec le recul et une fois la panique passée, une analyse approfondie des conditions globales d’émergence de ces problématiques ainsi qu’un portrait plus large des populations à risque nous montre toutefois un portrait auquel nous sommes malheureusement davantage habituéEs : surreprésentation des femmes et des personnes en situation d’immigration, possédant des multi-handicaps et des problèmes de santé mentale.

La pauvreté est aujourd’hui encore, au Québec, davantage le lot des femmes que des hommes : salaire inférieur, monoparentalité, dépendance économique, etc. Ce facteur et l’isolement social (réseau social insuffisant) sont encore les principaux facteurs de risque pouvant mener l’individu à l’itinérance et à la tentative de suicide. Lorsque nous regardons la composition de la population sans domicile fixe et des personnes indiquant des tendances suicidaires ou de sévères dépressions, nous retrouvons à peu près le même ratio hommes-femmes (légère majorité chez les femmes, forte présence d’individu présentant plusieurs facteurs d’exclusion), alors que les hommes sont surreprésentés dans les situations les plus extrêmes. Les femmes sont moins visibles dans ces couches défavorisées mais bien présentes : l’itinérance au féminin se traduit majoritairement en prostitution de rue – situation non plus enviable que l’itinérance de rue traditionnelle plus visible – alors que les femmes comportant des tendances suicidaires sont plus propices à faire de nombreuses tentatives non-mortelles et à être médicamentées à plusieurs reprises.

Les hommes sont plus difficiles à récupérer pour les services sociaux, ce qui pose un sérieux défi à des services d’urgence comme les lignes info-suicides et les intervenant-e-s en itinérance. Ce problème, découlant directement de « patterns » masculins consolidés par les avantages que ceux-ci confèrent à la majorité d’hommes qui réussissent bien dans la société, ne trouve pas de solution facile et ne peux être résolu par les services sociaux seuls. Ainsi, si l’élaboration de services d’urgence adaptés aux caractéristiques des hommes les plus en difficulté est un défit à court terme, afin de minimiser les pertes humaines, une réforme globale des services socio-sanitaires ne doit pas se faire dans un axe qui encouragerait le maintien de ces mêmes comportements masculins incompatibles avec un cheminement social cohérent et favorisant l’égalité des sexes, des orientations sexuelles, des ethnies, etc. Bref, l’urgence de sauver un certain nombre d’individus ne doit pas nous mener à mettre en péril l’éducation enrichissante de toute une génération d’homme, en véhiculant des stéréotypes confortables mais combien limitatifs, enfermant et porteurs de l’oppression d’autrui. Nous devons garder, ou plutôt remettre le cap sur une diminution drastiques des situations globales à risques : la pauvreté, l’exclusion sociale, l’inégalité des femmes et des personnes non-blanches, etc.

Ce qui nous mène à mettre en garde contre les individus qui prônent une action hâtive à partir d’observations partielles de la situation, suggérant que les hommes sont globalement infériorisés dans la société québécoise, et ce principalement à cause du féminisme. Un examen attentif de la situation sociale et de l’entrelacement des causes nous montre que cette surreprésentation d’hommes parmi les plus mal-en-point ne reflète pas la condition masculine globale, et nous invite à traiter cette problématique tout en continuant notre travail plus globalement sur les problématiques déjà mises à l’ordre du jour et loin d’être réglées : violences faites aux filles et aux femmes, racisme, âgisme, homophobie, pauvreté, etc.

Le mouvement masculiniste, s’il mobilise les tribunes avec cette misère de certains hommes, nous indique lui-même son agenda caché de rétablissement de privilèges masculins – privilèges qui ont longtemps servi de « coussin gonflable » à certains de ces hommes en difficulté, mais uniquement au prix d’une misère alors accrue des femmes – et ne doit pas guider les efforts que nous faisons et ferons pour remédier globalement à la situation de misère-pauvreté québécoise. De nombreuses ressources existent actuellement, pour aider les hommes comme les femmes, sans distinction de sexe (ressources du Réseau comme du communautaire) : c’est sur l’amélioration de ces ressources que nous devons miser et pas sur la mise en place de ressources spécifiques pour hommes, non nécessaires puisque les situations vécues ne sont pas spécifiques aux hommes – contrairement aux ressources pour femmes violentées, répondant à une problématique largement majoritairement féminine, et aux ressources d’aide aux immigrantEs par exemple, intervenant sur les difficultés spécifiques aux personnes non-blanches et en situation d’immigration. S’il pourrait être important de travailler à inciter les hommes à fréquenter davantage les ressources, et de modifier globalement ces ressources pour qu’elles soient plus accueillantes pour les hommes ET pour les femmes, il importe de ne jamais mettre de côté nos valeurs d’égalité sociale, de ne pas céder à la panique créée par les masculinistes-conservateurs et ainsi recréer les conditions propices aux rétablissement d’un patriarcat plus fort et meurtrier que jamais. Ne laissons pas les hommes favorisés profiter de la misère d’autres hommes, misère qu’ils contribuent globalement à créer, pour consolider leurs privilèges illégitimes.

Yannick Demers
militant pour le groupe Hommes contre le Patriarcat
étudiant en Travail Social, UQÀM

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Asunto: 
Gênant ce misérabilisme de la condition féminine
Autor: 
farewell
Fecha: 
Dom, 2006-01-01 10:26

Ce qui est très génant c'est que ce texte dit en gros qu'il ne faut pas se focaliser sur l'itinérance masculine mais il dit en même temps qu'il faut continuer l'effort particulier sur la violence faite aux femmes et aux filles.

Notez que l'auteur parle de pauvreté (en général pourne pas en faire un phénomène masculin) mais met sur le même plan violence faite aux femmes ensuite:
-un phénomène est présenté de façon complètement assexuée
-un autre phénomène est considéré d'abord en fonction du sexe des victimes (sexe féminin évidemment)!

En gros, on dit que ca serait une erreur d'aider un peu plus les hommes en errance à trouver un abris puis de les nourrir à leur faim en tant que principales victimes de ces injustices mais il serait indispensable de réduire la violence faite aux femmes alors même que les hommes subissent statistiquement bien plus la violence comme le suicide, homicides, exclusion, repression judiciaire.
Qu'est ce qui justifie qu'on ignore volontairement une injustice faite aux hommes pour ne pas faire trop de masculinisme et qu'on mette avec zèle l'accent sur une injustice subie par des femmes ?

C'est comme cela qu'on voudrait arrêter le sexisme à l'encontre des femmes ? en ignorant totalement des phénomènes de marginalisation, exclusion, de pousse-au-crime qui touchent spécifiquement les hommes.

Généralement, quand une féministe explique qu'on lutte plus particulièrement contre un phénomène touchant des femmes, elle le justifie par le fait qu'on doit comprendre la mécanique sexiste qui font des femmes des victimes.
Quand cette même féministe rejette (systématiquement) une injustice touchant majoritairement les hommes, bizarrement, elle se met à relativiser ce phénomène pour l'amoindrir ou elle en rejette la faute sur un comportement masculin ou toute autre origine masculine !

Ce double discours est très dangereux, je vous l'assure: Il aboutit toujours à un phénomène de balancier qui penche toujours d'un coté ou de l'autre selon les périodes mais qui il n'arrive jamais à l'équilibre etlèse toujours un des deux sexes.
Equilibre qui je vous le rappelle est l'essence de votre combat (du moins si vous êtes honnêtes).

Quand vous dites "arrêtons de brutaliser les femmes" ne mésestimer pas que de vraies injustices faites aux hommes en sont aussi la cause.
Il serait interessant de ne plus considérer que le monde est divisé en deux: hommes/privilégiés/bourreaux et femmes/dominées/victimes.


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Asunto: 
Changer de cap????????
Autor: 
YvesBleuler
Fecha: 
Mié, 2006-01-04 10:42

Monsieur Demers,

Je suis heureux de constater que vous avez rompu avec cette fâcheuse pratique qui consiste à occulter les faits cliniques. Malgré tous les reproches légitimes que l'on peut faire aux troupes masculinistes, il faut au moins leur accorder le crédit d'avoir forcé une constatation des faits qui faisait défaut dans certains milieux. Vous reconnaissez donc que: Les hommes complètent beaucoup plus souvent leurs suicides; Les hommes sont surreprésentés dans les groupes des itinérants.

Je reconnais avec vous qu'il est tout à fait ridicule d'attribuer la responsabilité de ces phénomènes au féminisme. Les féministes ne sont pas plus responsables de l'itinérance qu'elles ne le sont du suicide des hommes en dépression. Vous opposez cependant à cette analyse simpliste et plaquée une autre analyse tout aussi simpliste et plaquée. Selon vous:

«Le statut préférentiel dont ont hérité les hommes, surtout s'ils sont blancs et hétérosexuels, a une contrepartie : une féroce compétition à l'intérieur de la classe masculine, à savoir qui sera le meilleur, et donc de nombreux facteurs d'exclusions pour ceux qui ne tiennent pas la route. Avec pour conséquence que les hommes sont surreprésentés à la fois dans les catégories de gens possédant le plus de pouvoir et dans celles des gens les plus mal-en-point.»

La culture patriarcale est certainement la cause directe de certains problèmes sociaux et elle est une des causes indirectes de certains autres problèmes. Forts de cette constatation, certains militants sont tentés de généraliser leur analyse au point de faire de la culture patriarcale la cause de tous les maux. Ainsi le paradigme féministe devient la passe-partout universelle, l'explication "tarte à la crème" que l'on plaque sur n'importe quoi. Je lisais encore récemment dans La Gazette des femmes l'interview d'une camarade qui travaille pour un groupe de soutien aux lesbiennes victimes de la violence de leur conjointe. Plutôt que d'admettre simplement le fait que les femmes peuvent être sujettes à la violence, notre camarade se prêtait à une acrobatie intellectuelle en affirmant que la violence dans les couples de lesbiennes était aussi une manifestation de la violence des hommes. Selon elle, les couples lesbiens sont si "imprégnés" de la culture patriarcale ambiante, qu'ils cherchent à reproduire le modèle jusqu'à y inclure la violence. La violence est pourtant 4 fois moins fréquente dans les couples hétérosexuels. Notre camarade explique cette surreprésentation par le stress propre à la discrimination dont sont l'objet les couples homosexuels. C'est probablement vrai, mais alors pourquoi le même phénomène n'est pas observé chez les couples d'homosexuels de sexe masculin?

C'est un peu la même chose que vous faites ici. Il n'est pas complètement absurde d'affirmer que la pression culturelle des modèles stéréotypés patriarcaux ont un certain rôle à jouer dans l'itinérance et le suicide. Il y a toujours moyen de faire un lien. Mais il y a aussi moyen de faire un lien avec les revendications féministes et on n'est pas plus avancé. Ces causes sont secondaires! Il y a plus d'hommes itinérants pour des raisons biens plus importantes. La première est génétique. La schizophrénie frappe plus jeunes et plus durement les hommes. Les facteurs sociaux jouent aussi un rôle important, mais ce rôle est beaucoup plus complexe que la caricature que vous en faites. Par exemple, L'itinérance est en explosion depuis que les hôpitaux psychiatriques se sont "désinstitutionalisés". Ensuite, les réseaux familiaux et le réseau public de santé sont beaucoup plus enclins à adopter des conduites protectrices avec les jeunes femmes souffrant de troubles mentaux. Les jeunes femmes schizophrènes ou atteintes de troubles bipolaires ont moins de chance de se retrouver à la rue. Ici il est bien question de culture patriarcale, mais l'image stéréotypée de vulnérabilité féminine, entretenue par cette culture, joue à l'avantage des femmes.

Pour le suicide, le problème est encore plus complexe. Le nombre de suicides complétés est plus important chez les hommes parce que ceux-ci exploitent des moyens de se suicider plus dadangereuxComment expliquer cette différence dans le choix des moyens?

Il faut tenir compte des différences réseaux de soutien et il faut aussi tenir compte de facteurs d'impulsivité qui ne sont pas distribués également entre les sexes. Cette distribution inégale est-elle uniquement d'origine culturelle? Certains spécialistes en doutent.

Je partage cependant les grandes lignes de votre conclusion:

« ...l'élaboration de services d'urgence adaptés aux caractéristiques des hommes les plus en difficulté est un défit à court terme, afin de minimiser les pertes humaines, ...»

Heureux de vous l'entendre dire!

«(mais) ... une réforme globale des services socio-sanitaires ne doit pas se faire dans un axe qui encouragerait le maintien de ces mêmes comportements masculins incompatibles avec un cheminement social cohérent et favorisant l'égalité des sexes, des orientations sexuelles, des ethnies, etc.»

Ça va de soi!

«Bref, l'urgence de sauver un certain nombre d'individus ne doit pas nous mener à mettre en péril l'éducation enrichissante de toute une génération d'homme, en véhiculant des stéréotypes confortables mais combien limitatifs, enfermant et porteurs de l'oppression d'autrui. Nous devons garder, ou plutôt remettre le cap sur une diminution drastiques des situations globales à risques : la pauvreté, l'exclusion sociale, l'inégalité des femmes et des personnes non-blanches, etc. »

Remettre le cap??? Pour remettre le cap, il aurait fallu que le cap ait changé. Qu'est-ce qui vous laisse croire que le cap ait changé? Le discours entourant les problèmes spécifiquement masculins est nouveau et relativement limité si on le compare aux problèmes de la pauvreté de l'exclusion raciste ou de la violence faite aux femmes.

Par ailleurs, vous devriez encourager ce discours puisqu'il entre totalement en contradiction avec les stéréotypes patriarcaux de l'homme "tout puissant". On ne peut pas manger à tous les râteliers et être cohérent. On ne peut pas dénoncer les stéréotypes patriarcaux et en même temps les cultiver. En tout cas on ne peut pas le faire et rester cohérent. Il est bien que vous dénonciez les stéréotypes de la vulnérabilité féminine qui fait encore obstacle à l'accès des femmes à certains postes. Mais, vous ne pouvez pas ensuite entretenir le stéréotype de l'homme "plus forts" qui n'a pas besoin de service de santé, puisque ce stéréotype est le corollaire de l'autre.


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