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Libertés à la carte

critique, Friday, March 29, 2002 - 08:10

un commando Critique immuable

Oyez ! Oyez ! Voici un texte écrit par un combattant d'élite mobilisé
pour la nouvelle opération de réflexion radicale : « Critique immuable ».
N'hésitez pas à vous rendre aux quartiers généraux de la résistance
de la raison : www.critiqueimmuable.org. Le texte qui suit porte sur n
sondage tenu au début de janvier 2002 et qui demandait à 31 millions
de clients de Compuserve : « Which freedom would you give up to help
catch terrorists ? »

Plusieurs pays ont jugé bon
d'instaurer précipitamment des lois «  antiterroristes » à
l'automne 2001. Ces lois donnent des pouvoirs spéciaux aux enquêteurs
et autres représentants de l'État face au terrorisme, réel, appréhendé
ou supposé. Pour ceux qui défendent ces nouvelles lois, la menace
terroriste est si grande que de restreindre les droits et libertés des
présumés terroristes, en faisant de la détention préventive ou de
l'écoute électronique par exemple, constitue un mal nécessaire pour
combattre cette menace. Mon but n'est pas ici de refaire le débat à ce
sujet (à cet égard, cf. Le droit le plus fondamental selon Ashcroft) mais
de faire remarquer que ces lois antiterroristes sont fondées sur une
idée qui est, dans l'air du temps, une sorte de sous-texte à tout ce
qui est véhiculé dans les médias, idée que l'on pourrait résumer par
l'équation scandaleuse suivante : « trop de droits =
terrorisme ».

La première façon de comprendre cette idée est la
suivante : les groupes terroristes profitent des droits et
libertés des pays démocratiques pour s'y implanter avec succès,
récolter des fonds, planifier et même perpétrer des attentats. Dans ce
contexte, le fait que l'attentat monstrueux que l'on connaît ait pu se
produire constituerait une sorte de preuve que les individus possèdent
trop de droits et les autorités trop peu de pouvoir. Suite à l'impact
émotif et symbolique énorme de l'attentat du World Trade Center, ce
jugement semble presque aller de soi, du moins dans le discours qu'on
entend partout. Bien des gens l'acceptent sans broncher alors que dans
l'ère pré-11 septembre, ils auraient sursauté à l'idée que l'on puisse
penser restreindre les droits des individus à partir d'un soupçon
généralisé, sous prétexte d'attraper des fraudeurs ou de combattre le
crime organisé.

Mais ce qui est plus remarquable et plus inquiétant
encore, c'est qu'au fur et à mesure que cette idée fait son oeuvre,
elle fait des petits. C'est ainsi que l'idée selon laquelle le
terrorisme serait une conséquence de l'excès de liberté dans nos
sociétés signifie aussi que ceux qui défendent les droits et libertés
sont des complices des terroristes et ceux qui sont prêts à sacrifier
leurs droits sont des patriotes pleins de bon sens. C'est dans un
contexte où de tels glissements ont fait leur chemin sans encombre
dans le sens commun qu'une question ahurissante a pu être posée dans
un récent sondage à grande échelle. Aux 31 millions de clients de
Compuserve on a posé la question suivante : « Which freedom
would you give up to help catch terrorists ? » Toute
personne saine d'esprit parmi les clients de Compuserve peut
s'imaginer de manière réaliste que de ne pas répondre à une telle
question est risqué : son silence peut devenir en soi une
information laissant planer le doute sur sa qualité de citoyen chez
Compuserve. Car la question suppose que chacun peut et doit faire sa
part dans la lutte antiterroriste. Évidemment, ce n'est pas tout le
monde qui peut piloter un avion dans l'armée et lâcher des bombes sur
l'Afghanistan ou qui peut dénoncer un voisin à l'allure suspecte
(certains ont la malchance d'avoir des voisins
« ordinaires »), mais chacun peut tout de même faire sa part
en sacrifiant un peu de sa liberté. C'est un scandale ! Et la
logique de l'affaire est aussi expéditive que celle de nos mères qui
invoquaient les Chinois mourrant de faim pour nous convaincre de finir
notre assiette, comme si ça pouvait les aider !

Et puisqu'un souvenir d'enfance en attire généralement
un autre, je vais me permettre d'offrir une autre tranche de vie qui
pourrait ici être utile à ma cause critique. Périodiquement, à
l'école, un professeur sollicitait notre aide pour un projet
charitable : il s'agissait invariablement de ramasser des
languettes de canettes en aluminium - en fait, il y avait également
une variante du projet qui consistait à ramasser des attaches de sacs
à pain en plastique. Lorsque nous en avions recueilli une quantité
suffisante, elles étaient expédiées à Alcan, Pepsi ou une autre
compagnie qui, disait-on, achetait une chaise roulante à quelqu'un qui
en avait besoin. Chacun faisait sa part avec enthousiasme et ramassait
ses languettes avec le sentiment du devoir accompli. Bien plus tard,
j'ai su qu'il s'agissait d'une des légendes urbaines les plus tenaces
et qu'elle perdure encore. Quel est le rapport avec la lutte au
terrorisme, se demandera-t-on ? Cette légende urbaine nous
enseigne que les gens aiment bien faire leur part pour une bonne cause
quand ça ne leur coûte rien : ça fait tellement plaisir d'aider
un pauvre paraplégique à se procurer une chaise roulante en donnant
des attaches de sacs à pain, que l'on trahit son bon jugement et que
l'on y croit. De la même façon, puisque la cause antiterroriste est
incontestablement bonne, pourquoi, à son profit, ne pas sacrifier un
droit ou une liberté, que l'on juge aussi inutile qu'une attache de
sac à pain !

Afin de discréditer cette nouvelle légende urbaine
selon laquelle céder une liberté contribuerait à la lutte contre le
terrorisme, je vais rappeler un peu ce que sont les droits. Un tel
projet, aussi condescendant puisse-t-il paraître, est de mise si l'on
tient compte de la gravité de la situation : par les temps qui
courent, l'État a un goût irrépressible pour l'annulation relative des
droits des gens et il espère que l'incompréhension des gens à l'égard
de ces droits permettra que cela se fasse en douce. En tout cas, il ne
fait aucun doute que l'ami du pouvoir qu'est Compuserve, filiale de
Warner Bros., s'est investi dans une offensive d'avant-garde pour
tenter de faire croire aux gens qu'ils peuvent être des citoyens
responsables en s'interrogeant sur leurs droits comme si ceux-ci
étaient des privilèges à propos desquels ils peuvent, dans un
soliloque souverain et libre, décider de l'utilité pour leur vie
personnelle. Je vais donc ici essayer de convaincre que l'on ne se
départit pas de ses droits comme des avantages d'une marge de crédit
sous prétexte que l'on serait bon gestionnaire de son budget
domestique.

En l'occurrence, les droits que l'on nous incite plus
ou moins à céder en cette ère post-11 septembre 2001 sont ceux-là
mêmes qui fondent l'essence du droit, laquelle est d'ordre politique.
Le droit à la vie privée, le droit d'association et le droit à la
libre expression ne sont pas des privilèges accordés à chacun de nous
et que l'on pourrait évaluer du point de vue de ce qu'ils nous
apportent personnellement. Ces droits sont accordés à tous et pour le
bien de tous. À ce titre, ils sont des remparts contre l'État lui-même
qui pourtant les garantit. Le droit à la vie privée assure que les
choix individuels de tous puissent, selon leur volonté, rester privés.
Il permet entre autres que l'intention malveillante et diffamatoire -
qui peut être l'intention de n'importe qui - de rendre publiques des
opinions ou pratiques individuelles contre le gré des personnes
concernées soit blâmée et punie. Le droit de libre association assure
que des individus partageant des opinions et des pratiques puissent se
solidariser et, par là, articuler une opinion significative dans
l'espace public qui peut être marqué par un contexte où leurs opinions
ou leurs pratiques sont l'objet d'un jugement préjudiciable de la part
de certains groupes sociaux et surtout de la part de l'État. Le droit
à la libre expression assure pour sa part que celui qui choisit de
dire publiquement ce qu'il pense privément - par exemple, parce qu'il
croit que ce qu'il pense a une valeur publique - , puisse le faire
sans préjudice. L'individu qui expose ses idées publiquement assume
bien sûr que celles-ci puissent être remises en question. Mais le
droit à la libre expression lui assure qu'il serait illégitime que
cette remise en question prenne la forme d'une menace contre lui.
Ultimement donc, les droits à la vie privée, à la libre association et
à la liberté d'expression sont d'abord des garanties consenties par
l'État comme si celui-ci avouait son penchant vicieux pour l'ingérence
dans la vie privée et publique des individus.

Comprendre ces droits fondamentaux de cette manière,
c'est aussi laisser entendre qu'ils ont été gagnés de haute lutte dans
l'histoire. S'imagine-t-on les rapports de force accumulés
historiquement entre les solidarités civiles et l'État pour que
celui-ci consente finalement à assurer la libre association des
citoyens ? Eh bien tout cela disparaît dans la considération
individuelle des gens ignorants de cette histoire qui peuvent se
mettre à supputer sur les avantages de la liberté d'association dans
une réflexion comparable à celle où ils soupèsent les avantages de
faire partie d'une association de loisirs ou d'acheteurs en gros.

On notera que de répondre à un sondage nous invitant à
faire un exercice de réflexion qui doit mener au choix, même
hypothétique, de la cession d'un droit précis, c'est donner
l'opportunité à l'État d'avoir une information lui permettant non
seulement de planifier l'annulation en douceur des droits (le droit
que les répondants sont les plus prêts à jeter étant le premier qui
pourra être violé par l'État). Cela permet également à l'État de
mesurer à quel point l'aliénation que subissent les citoyens dans nos
pseudo-démocraties est aujourd'hui très profonde. Car que peut-on lire
entre les lignes si un grand nombre de personnes sont, disons, prêtes
à sacrifier leur droit à la libre expression ? On peut lire que
de toute façon, les gens font en général l'expérience de leur
insignifiance dans l'espace public transformé en espace de
divertissement. Les gens n'ont jamais l'occasion de s'exprimer dans un
lieu public où leur opinion serait significative à tel point qu'ils
n'entrevoient pas qu'ils pourraient, sous le couvert de cette loi sur
la libre expression, être protégés éventuellement s'ils venaient à
tenter de profiter de la puissance dynamique que confère d'emblée la
prise de la parole en public.

Par ailleurs, l'idée de céder son droit à la
confidentialité peut être compris également à l'aune de la désillusion
aliénante à l'égard de la pseudo-démocratie. Car cette désillusion
provoque des transferts de désir inopinés. Je veux parler de ces
vertueux autoproclamés qui consentent à ce qu'on les espionne dans la
mesure où ils prétendent n'avoir rien à se reprocher. Pour eux,
l'indiscrétion de l'État à leur égard n'est pas qu'un mal nécessaire
auquel il vaut mieux ne pas penser, mais en soi une opportunité
positive de collaborer à la lutte antiterroriste. Ils croient que le
fait qu'ils n'aient rien à se reprocher sera apprécié positivement par
l'État. Ils veulent non seulement céder leur droit à la
confidentialité mais, en fait, ils souhaitent que cette cession de
droit soit reconnue comme un rapport volontaire et significatif avec
l'État - ce qui manque précisément à leur participation formelle à
l'État en tant que votants toujours déçus, élection après élection.
Nos citoyens irréprochables ont l'impression d'être importants du fait
que l'État puisse s'intéresser à leur vie qui ne pourra que lui
apparaître exemplaire. On a envie de leur dire platement que le mieux
qu'ils peuvent espérer comme reconnaissance, c'est le « backcheck
minute » qui assure précisément leur insignifiance dans le
contexte de la paranoïa antiterroriste de l'État. On a envie également
de les avertir que le pire les guette aussi : dans le contexte de
la surveillance de masse paranoïaque, une erreur peut aisément être
commise à leur égard et leur serment d'allégeance à l'État ne les
exemptera pas d'être confinés à la prison avec tous les autres
suspects qui seront particulièrement nombreux. En prime, l'État leur
demandera d'oublier les humiliations non méritées qu'ils auront
subies, et quoi encore. Ces kamikazes du dimanche comprendront-ils un
jour qu'il y a des limites juridiquement prescrites à l'État qui font
que tous et chacun peuvent, au nom de leur dignité, refuser de se
précipiter dans ce trou sans fond d'abnégation délirante ? On
l'espère.

Cela dit, on peut se demander si leur patriotisme
exhibitionniste ne doit pas être compris à l'aune du nouveau phénomène
d'exhibitionnisme de la vie privée dans les médias et sur Internet.
Tous ces gens - les patriotes antiterroristes autant que les simples
acteurs médiatiques de la vie ordinaire - maladivement généreux dans
la monstration de leur vie privée ne sont-ils pas l'expression
désespérée du besoin d'un espace public dans lequel des enjeux les
touchant seraient compréhensibles à partir de leurs vies ? Même
si c'était le cas, ne laissons pas l'aliénation que vivent ces gens
cherchant maladivement à tempérer, par l'exhibition de leur vie, le
soliloque bruyant de la propagande médiatique ou de l'État, ne
laissons donc pas cette aliénation préparer l'obligation absolue
d'avouer nos vies privées sous prétexte de sécurité !

Méfions-nous également de ce qui apparaît comme une
sagesse de la part de ces autres citoyens désireux de collaborer à la
lutte antiterroriste mais qui sont pourtant heurtés par un sondage
aussi ignoble que celui qui demande quel droit ils sont prêts à céder
pour la cause. C'est que leur proposition spontanée de
« limiter » des droits spécifiques plutôt que de les céder
fait montre finalement d'une grande imprudence. En effet, ils ne
comprennent pas que les droits qui nous garantissent l'immunité devant
l'État sont précisément là pour que celui-ci ne puisse pas invoquer la
situation d'exception et la raison d'État de manière arbitraire dans
le but de nous contraindre. Les lois sur le respect de la vie privée,
sur la liberté d'expression et sur la liberté d'association sont
précisément des remparts, évidemment fragiles, dont le but est
d'imposer à l'État qu'il justifie toute suspension des droits que ces
lois protègent. Ces droits ne sont pas seulement des pouvoirs virtuels
des individus actualisables au gré des désirs individuels mais ils ont
une signification hautement politique en tant qu'obstacle juridique à
l'usage étatique arbitraire du pouvoir ultime. En l'occurrence, si
nous vivions dans de saines démocraties, à partir du moment où une
partie de la population considérerait que la suspension des droits par
l'État invoquant la sécurité est injustifiée, on devrait assister à
une remise en question immédiate, par l'État lui-même, de sa décision.
Ce n'est pas le cas car nous vivons dans des démocraties où l'État a
également ses raisons que la démocratie ne doit pas connaître. En
effet, l'État nous montre, jour après jour depuis le 11 septembre
2001, qu'il entend louvoyer avec l'interpellation légitime de ceux qui
demandent une justification crédible des amendements législatifs déjà
mis en force, une justification qui ne tiendrait pas de la propagande
affirmant de manière stupide le message de la situation d'exception.
Les droits fondamentaux sont des remparts minimaux que l'on ne peut
pas « limiter » davantage, et ils sont là justement pour
tenter de limiter l'arbitraire de l'État. Ces droits fragiles sont nés
de rapports de force qui s'écroulent aussitôt que la raison d'État
délirante devient celle de la majorité des citoyens - l'histoire
politique est truffée de telles situations. Puisque nous en sommes là,
toutes les personnes sensées et qui croient à l'inscription
juridico-constitutionnelle des droits devraient comprendre qu'il ne
leur reste qu'à défendre le plein droit à la vie
privée, à la libre association, à la libre expression. Cela dit, ils
verront rapidement que ce parti pris est devenu, dans l'esprit confus
des gens, un parti pris « contre le monde libre »... Quelle
folie ! Est-ce vraiment à nos droits qu'il faut imposer des
limites ?

Il s'agissait de la misson 40 contre l'opération américaine « liberté
immuable ».

Ce texte a été écrit par un auteur qui tient à rester anonyme et qui
ne doit pas être confondu avec Paule des Rivières. Il oeuvre pour
la nouvelle opération de réflexion radicale : « Critique immuable ».
N'hésitez pas à vous rendre aux quartiers généraux de la résistance de
la raison : http://www.critiqueimmuable.org.

www.critiqueimmuable.org


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