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Des alternatives au capitalisme

vieuxcmaq, Thursday, October 5, 2000 - 11:00

François Houtart (alternatives@alternatives.ca)

Le premier objectif d'une alternative à moyen terme dans le champ économique est une autre modulation des échanges mondialisés. En effet, l’opposition à la mondialisation ne porte pas sur l’universalisation des transactions, mais bien sûr la manière dont elles se réalisent dans le marché capitaliste. C’est cela qui s'est exprimé à Seattle. Certains secteurs des activités interhumaines doivent se situer en dehors de la logique marchande, sous peine de perdre leur sens. C’est le cas de la culture, de l’éducation ou des moyens de communication. L'ouverture des marchés doit procurer des marges de manœuvre aux économies faibles. La libre circulation ne peut concerner uniquement les capitaux et les biens, mais doit inclure aussi les personnes. Les activités spéculatives dominant l'économie mondiale doivent êtres canalisés, sinon totalement éliminés, etc. Pour chacun de ces points des solutions sont proposées.

Par ailleurs, la mondialisation actuelle favorisant à la fois les intérêts économiques des nations les plus fortes et les entreprises transnationales en plein processus de concentration, les regroupements économiques régionaux constituent également une autre manière de se situer dans la "globalisation". Ces derniers rencontrent, en effet, deux perspectives alternatives : d'une part, ils pourront progressivement mieux répondre aux besoins des populations, en diversifiant les échanges internes et de l’autre, ils constituent une base plus solide de négociation dans une économie mondialisée, offrant ainsi un point de départ d’une pluripolarité future, face à l'unipolarité actuelle.

Pour modifier les rapports Nord-Sud, autre aspect de la mondialisation contemporaine, il s'agit de lever les obstacles au développement des économies dépendantes, en renversant l’orientation des flux financiers qui convergent vers les économies développées et qui sont le produit du poids de ces dernières dans les rapports mondiaux. Ces obstacles sont constitués par la fluctuation des prix des matières premières et des produits agricoles, la concurrence des surplus agricoles, les sous-traitances et les zones franches aux conditions fiscales et sociales draconiennes, l'importance du service de la dette, les exigences des investissements étrangers, les taux usuraires des placements A court terme (capitaux hirondelles), l’évasion des capitaux locaux vers des lieux de plus forte rentabilité, etc. Dans tous ces domaines des solutions sont avancées et quelques-unes d'entre elles déjà partiellement appliquées ou soumises à la discussion.

Enfin, toujours dans les matières directement liées avec la mondialisation, la réduction du commerce des armes et son strict contrôle international forme aussi un des objectifs à moyen terme des alternatives. Il en est de même des armes de destruction massive dont le contrôle de l'interdiction devrait faire l’objet d'un pouvoir réellement international et non pas seulement dépendre de quelques nations qui dominent l'ordre mondial. Des projets existent dans ce sens et ils sont crédibles dans la mesure où une volonté politique peut être dégagée. Après la fin de la guerre froide, on a parIé de dividendes de la paix. Cette notion qui a connu un début d'exécution pourrait être étendue.

Comme les alternatives signifient une transformation ou un remplacement du capitalisme, aujourd'hui mondialisé, il ne suffit pas d'aborder la seule dimension spatiale, mais il faut aussi prendre en compte une logique qui aujourd'hui s'exerce mondialement. Dans ce domaine, le premier aspect est celui des limites mises à la logique marchande. Parmi ceux qui proposent des alternatives, personne ne pense d’abolir le marché, car si ce dernier est un rapport social, il peut aussi se construire sur la base d'une réciprocité véritable. À cet effet, le développement d’une économie sociale, même si le contexte actuel limite considérablement ses potentialités, ouvre la voie à bien des solutions, y compris à la propriété des moyens de production par l’ensemble des producteurs. Cela se traduit concrètement par les freins mis à la concentration des entreprises échappant par ce biais aux législations nationales ou encore par I'arrêt des privatisations tous azimuts et sur un plan positif, par la remise en valeur des secteurs non-marchands, en tant que réelle contribution à la richesse des nations. Tout cela fait l’objet de revendications concrètes de plusieurs mouvements sociaux.

La réorganisation du processus de production et de distribution, qui connaît dans la phase néolibérale actuelle une étape de dérégulation considérable, en fonction du critère de rentabilité, est aussi une des alternatives d moyen terme. Elle concerne surtout quatre secteurs. Tout d'abord la revalorisation du capital productif par rapport au capital financier, afin d'arrêter la décroissance relative du premier et de réduire le caractère spéculatif du second. Ensuite, une utilisation critique des technologies, pour éviter que la rentabilité ne soit l’unique critère de leur développement et de leur application, en réintroduisant d'autres paramètres, comme le bien être humain, la dignité des personnes, le respect de la nature.

En troisième lieu vient la redéfinition du travail, qui est certes profondément modifiée par les nouvelles technologies, mais qui doit pouvoir être organisé en fonction d'autres paramètres que la compétitivité sauvage entre les entreprises (débouchant sur la flexibilisation du temps de travail, l’individualisation des travailleurs, le travail des enfants, la pression sur les coûts de la couverture sociale ou de la sécurité dans le travail, etc.). Enfin, il faut citer le facteur écologique, dont les exigences sont de plus en plus reconnues. À court terme, il est possible que ce dernier soit le mieux à même de forcer l’adoption d'alternatives à la logique capitaliste, car il n'est pas possible de poursuivre le cours actuel des choses, caractérisé par l'exploitation des ressources non renouvelables et la destruction de l'environnement pour la simple obtention d'un profit à court terme.

Sur un plan plus général, on peut dire que ces divers objectifs alternatifs vont dans le sens indiqué par Polanyi de réenclaver l’économie dans la société, en la soumettant aux impératifs sociaux et écologiques. Le sommet des Nations unies de Copenhague et celui de Rio (I'Agenda 21) montrent que cela n'est pas pure illusion, même si les résultats concrets sont encore bien décevants. Rappelons cependant que l’interprétation de ces objectifs alternatifs à moyen terme est différente dans les perspectives néo-keynésienne ou post-capitaliste et que cela peut avoir une incidence sur les voies proposées pour leur réalisation.

Les alternatives politiques

Les alternatives économiques n'ont guère de chances de voir le jour sans des alternatives politiques. En effet, la mondialisation actuelle donne au système économique capitaliste une prédominance de pouvoir, c’est-à-dire une capacité énorme d'imposer ses normes au fonctionnement de la vie collective. Le contrepoids ne pourra être que politique, au sens large du mot. D’où, un certain nombre d’objectifs à moyen terme. Sur le plan mondial, il s'agit essentiellement de renforcer les organisations internationales et de les démocratiser. Cela concerne aussi bien le Conseil de Sécurité dans son rôle de maintien de la paix, que les organisations spécialisées des Nations unies. Quant aux organisations nées de la conférence de Bretton Woods (Banque mondiale, FMI et plus récemment, OMC), et devenues les instruments efficaces de l’application du Consensus de Washington, le retour à leur fonction originelle de régulation du système économique mondial sur d'autres critères que la simple rentabilité du capital, est une des perspectives alternatives sérieusement envisagée. Tout cela va de pair avec la restauration de I'État dans son rôle de garant des objectifs sociaux et des préoccupations écologiques, avec le renforcement de son efficacité technique et avec l’accroissement du contrôle démocratique à tous les échelons.

La réalisation de ces objectifs alternatifs à moyen terme dépend sur le plan international de trois facteurs essentiels : une convergence des résistances au capitalisme et des luttes sociales à tous les niveaux ; une volonté politique de la part des États et le développement du droit international. On peut même affirmer que c'est de la dynamique de ces trois facteurs qui commandera la possibilité de réalisation des alternatives.

Dans le premier cas, I'établissement de réseaux de mouvements sociaux et l’organisation d'actions communes sont en cours de réalisation. En 1999, des événements symboliques ont mis en lumière leur existence, par exemple l’Autre Davos, ayant réuni 5 mouvements sociaux importants des 5 continents, pour affirmer qu'il existe une autre manière de concevoir 1'économie mondiale que celle du marché ou l’action commune menée à Seattle entre les syndicats ouvriers, notamment américains et d'autres mouvements sociaux de plusieurs, catégories et diverses régions du monde.

Certaines initiatives au niveau des États, notamment sur un plan régional, manifestent une volonté politique de trouver des alternatives, par exemple le Mercosur ou l’ASEAN, qui développent des projets économiques, nettement en retrait, par exemple, vis-à-vis de l’établissement de zones de libre-échange entre les pays de la région et les États-Unis. Enfin, sur le plan du Droit international, il faut signaler de nombreuses initiatives dans le domaine des droits humains ou du droit des Peuples vis-à-vis du droit des affaires, entre autres, les initiatives du Tribunal permanent des Peuples ou de la Ligue internationale pour les Droits des Peuples.

Les alternatives à court terme

Pour que l’on puisse parler d'alternatives crédibles, il faut non seulement se fixer un but et formuler des objectifs à moyen terme, mais il faut aussi faire des propositions à court terme, qui peuvent constituer la base d'actions revendicatrices et de programmes politiques. Il serait impossible d'en dresser un catalogue, mais il suffit de donner quelques exemples, prouvant que la possibilité de créer des alternatives existe.

La plupart se situent dans le domaine des régulations, mais elles s'inscrivent comme des étapes d'un processus A plus long terme, soit pour humaniser le rapport social capitaliste, soit pour le transformer. On peut les classer en divers champs.

- Régulations économiques : taxation des opérations financières internationales (taxe Tobin) ; fiscalité régionale et internationale ; suppression des paradis fiscaux ; annulation de la dette des pays pauvres ; regroupements régionaux sous forme de marchés communs ou zones de coopération économique; restructuration des institutions financières internationales, etc.

- Régulations écologiques : protection des ressources non renouvelables ; protections des richesses biologiques ; établissement de règles internationales sur la pollution ; mise en application de l'agenda 21, etc.

- Régulations sociales : législation internationale du travail ; codes de conduite des investissements internationaux ; participation des organismes représentatifs des travailleurs dans les instances régionales et internationales, etc.

- Régulations politiques : constitution de pouvoirs régionaux avec compétence régulatrice en matières économique et sociale ; réorganisation des organes des Nations unies ; gestion mondiale du patrimoine écologique et culturel ; Parlement mondial, etc.

- Régulations culturelles : protection des productions culturelles nationales ou locales.

En conclusion, les alternatives existent. Qu'elles soient crédibles ne fait aucun doute. En fin de compte, leur réalisation est liée à la volonté de les mettre en œuvre. À ce moment, la crédibilité ne se pose plus au niveau des alternatives, mais bien à celui de l’agir collectif. Existe-t-il des formes sociales capables de porter les projets alternatifs A court et moyen terme. Existe-t-il une volonté politique de les réaliser? C'est un autre débat, qu'il est bon d'ouvrir.

François Houtart dirige la revue Alternatives Sud et le Centre tricontinental



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