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Considérations sur la situation iranienne et ses perspectives révolutionnaires

Anonyme, Tuesday, February 16, 2010 - 23:45

sinbad

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Considérations sur la situation iranienne et ses perspectives révolutionnaires

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On ne peut pas parler de révolution en ce moment en Iran, mais s’agissant d’un mouvement massif hétéroclite, certaines tendances radicales s’y distinguent qui paraissent les plus porteuses d’une perspective d’émancipation du prolétariat iranien et mondial. Les thèses qui suivent sont pour certaines plagiées ou détournées. Elles possèdent la faiblesse inhérente à une position extérieure, contemplative, au mouvement. La difficulté résidant dans la possibilité – ou non – de se faire une idée précise de la situation iranienne de ces derniers mois, du rapport entre les principales forces qui la composent et de l’influence des puissances étrangères, il est possible que certaines thèses soient incomplètes, voire erronées. Elles sont écrites pour être discutées, corrigées, traduites et employées rapidement.

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Le mouvement révolutionnaire en Iran est inséparable de l’abolition mondiale réelle de toute division en classes, division fondamentale d’une société étendue maintenant à toute la terre, et dont découlent toutes les oppositions entretenues de nations, et de races. Ainsi, le mouvement iranien doit être fermement internationaliste, universellement ennemi de toute exploitation. Il doit reconnaître partout dans le monde ses amis et ses ennemis sur ce seul critère réel. Et il doit combattre toutes les illusions sur les différentes variantes du pouvoir de classe qui vont chercher à remplacer la république islamique.

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Le mouvement iranien doit donc constater et critiquer l’état réel du monde, et des forces révolutionnaires dans le monde. Celles-ci peinent à se reconstituer après presque un siècle de déroute lié à leurs deux échecs successifs : l’un correspondant à la défaite de la révolution russe qui a vu une classe bureaucratique confisquer le pouvoir des soviets et l’exercer au nom et contre le prolétariat ; l’autre correspondant à la débâcle des forces contestataires qui sont nées à la fin de années soixante soit pour s’écraser sur les remparts de la contre-révolution étatiste des années soixante-dix (Italie), soit pour s’intégrer à la société marchande selon les processus du spectacle démocratique (France, Etats-Unis, Portugal, Angleterre). Le terrain de la guerre sociale étant déserté, les trois dernières décennies ont permit au capital de renforcer son hégémonie à l’échelle de la planète, ajustant ses dispositifs de contrôle et de diffusion de l’idéologie de la marchandise. C’est en grand partie pour n’avoir pas tiré les leçons du premier échec que les forces révolutionnaires ont échoué une seconde fois, pour n’avoir pas vu dans les bureaucraties syndicales et politiques les meilleurs alliés des capitalistes ; et de ne pas les avoir traitées en ennemies.

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A travers leurs hommages et leur déclaration de soutien aux manifestants iraniens, l’État français (1) et l’Union européenne (2) ne cherchent rien d’autre qu’à renforcer le dispositif mental manichéen qui pose le modèle démocrate bourgeois comme une alternative valable à la république islamiste et comme seule idée capable de fédérer les forces d’opposition. Ils voudraient nous faire oublier que tous les pouvoirs hiérarchisés partagent le même intérêt à maintenir les conditions de leur domination respective, et que l’affrontement actuel entre l’Iran et les Etats occidentaux correspond à une divergence d’intérêts secondaires – mais néanmoins profonde – liée à l’arrogance des « grandes puissances » ou de ceux qui aspirent à le devenir. Leur confrontation apparente, car il ne s’agit pour le moment que du spectacle de leur confrontation, travaille à renforcer l’unité de leur emprise respective sur la classe dominée. En occident, ce processus constitue une petite partie du flot de spectacles permanent, tandis qu’en Iran il est l’ultime stratégie du pouvoir pour se maintenir en place : dans une société qui prend conscience de sa division fondamentale, c’est-à-dire ou une grande partie des masses ne se reconnaît plus dans l’idéologie officielle, l’Etat iranien tente de retrouver l’unité de sa domination en jouant la vieille carte de l’anti-impérialisme et celle ensanglantée du nationalisme et de la glorification de la puissance militaire. C’est en vain : une partie des masses ne s’identifient plus aux intérêts de ses maitres, comme l’ont démontré une fois de plus les événements du 11 février 2010. Le régime est désormais engagé dans une fuite en avant qui ne peut que le mener à sa dislocation ou son renversement à moyen ou court terme. Il manifeste déjà les symptômes de brutalité de la bête blessée.

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Parmi les États qui s’affrontent plus ou moins symboliquement sur la question du nucléaire iranien, aucun n’avouera jamais quelles seraient les conséquences catastrophiques pour le maintien de la domination de classe si l’un d’eux venait à être balayé par des forces révolutionnaires anti-étatistes. Pour cette raison aucune puissance occidentale, moyen-orientale ou asiatique, ne laissera jamais une révolution se réaliser en Iran sans chercher à la récupérer, la saboter ou l’écraser par tous les moyens. Fort malheureusement la classe capitaliste internationale est celle qui a pour le moment donné les plus grandes preuves de solidarité de classe. Un mouvement révolutionnaire doit prendre en compte cette considération et chercher dès maintenant à prendre contact partout sur le globe avec celles et ceux qu’il a reconnu comme ses amis, c'est-à-dire poursuivant le même objectif que lui : abattre le pouvoir de classe, abolir l’économie.

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Certains gauchistes ont compris les conséquences positives qu’aurait l’instauration d’un Etat laïque en Iran pour les forces (féministes pour la plupart) qui luttent contre le développement de l’islam politique dans de nombreux pays arabes : un modèle à suivre. Elles ne seraient rien en comparaison de ce qu’une victoire de la révolution prolétarienne provoquerait d’enthousiasme et d’initiatives subversives de la part du prolétariat mondial et de terreur dans la classe dominante, partisans de l’islam politique compris.

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Certaines tendances révolutionnaires iraniennes – notamment celles s’exprimant à travers les différents partis communistes comme le Parti Communiste-Ouvrier d’Iran (PCOI) – ont l’avantage d’avoir dès leurs origines développé une analyse, évidente mais pas si répandue, totalement désillusionnée vis-à-vis de l’URSS. Leur refus de considérer le totalitarisme stalinien comme un modèle de société socialiste les a incité – particulièrement le théoricien marxiste Mansoor Hekmat – à insister sur la nécessité de l’autonomie ouvrière dans le processus révolutionnaire, notamment par l’instauration de Conseils Ouvriers. Mais Hekmat, malgré sa tentative de critique du bolchevisme, se perd dans une conception léniniste du rôle de ces Conseils, et les appréhende, non pas comme moyen et finalité de la société communiste, mais comme la base consciente sur laquelle doit se fonder le pouvoir de l’Etat socialiste – véritable usurpation dont on connaît l’issue contre-révolutionnaire systématique. Dans le programme qu’il a rédigé, et que reprend entre autres le PCOI, certains paradoxes frappants mettent à jour de vaines tentatives de conciliation entre un communisme bureaucratique et un communisme libertaire. En raison de ses hésitations théoriques on peut s’interroger quelques temps sur l’intérêt que présente ce parti et quels pourraient être ses apports à une révolution en Iran, mais la question est vite tranchée au regard de la stratégie qu’il a décidé d’adopter lors son 7ème congrès en décembre 2009 (3) : en dépit de la pertinence plusieurs de ses analyses, ses prétentions à se hisser comme le dirigeant de la révolution iranienne font de lui un simple proto-Etat, un vulgaire candidat à la possession du pouvoir bureaucratique de classe.

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Les tendances conseillistes qui traversent certains courants révolutionnaires iraniens depuis les années 1970, malgré de profondes faiblesses analytiques, pratiques et théoriques, ont influencé positivement la réalisation de certaines expérimentations. En 1979, lors de la chute du régime du Shah, les membres de l’organisation marxiste Komala (4) profitèrent du climat insurrectionnel pour piller les casernes et armer des civils qui maintinrent pendant quatre années une zone totalement indépendante du pouvoir central de Téhéran, alphabétisant les filles et expropriant les grands propriétaires terriens, entre autres. Les villes et les villages du territoire autonome s’organisèrent en Conseils selon les principes de la démocratie directe. Cette expérience autogestionnaire, bien que critiquable sur plusieurs aspects, est l’exemple le plus accessible qui doit servir de modèle immédiat aux travailleurs iraniens qui luttent aujourd’hui, et à l’ensemble du mouvement.

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Le but d’un mouvement révolutionnaire en Iran, et partout dans le monde, est l’autogestion, celle qui est apparue sous une forme limitée après le renversement du pouvoir du Shah, et que le pouvoir de la république islamiste a combattue âprement. L’autogestion doit être réalisée totalement. Elle est partout la seule garantie d’indépendance. Le Conseil est sa forme d’organisation par excellence, le moyen, le but et le pouvoir réel du prolétariat. Les Conseils auront le pouvoir de créer librement la totalité de la vie sociale, d’utiliser la totalité des moyens dont ils disposeront pour la création, et la réalisation des désirs individuels et collectifs. Ils permettront de construire de manière libre, ludique et consciente tous les aspects de l’existence. Il est encourageant de constater que dans l’histoire récente du pays les manifestations contestataires des travailleurs iraniens ont souvent délaissé la forme d’organisation syndicale pour lui préférer les formes, certes plus sporadiques mais plus autonomes, du Conseil et de l’assemblée générale.

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La lutte en cours contre la domination politique et son idéologie religieuse doit être rejointe et englobée par la lutte contre la domination économique qui lui est directement liée, l’Etat moderne n’étant désormais plus que la manifestation centrale de la hiérarchie contenue dans la logique marchande. Un tel élargissement qualitatif de la contestation est d’autant plus facile que l’organisation paramilitaire du Corps des Gardiens de la Révolution Islamique, qui se charge en grande partie de la répression actuelle et dont l’influence est grande au sein de l’Etat, se trouve être également une énorme puissance économique, une composante essentielle du patronat iranien, qui contrôle de nombreux secteurs, ports, aéroports, armement, loisirs, bâtiment, et possèdent usines, entreprises de télécommunication, banque (5), holdings influentes au Moyen-Orient… C’est une bourgeoisie mélangée de bureaucratie (les bureaucrates dirigeant l’État, l’économie, l’encadrement politique des masses), qui partage son pouvoir entre peu de mains.

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La précipitation du régime à désigner comme « mohareb » (ennemi de Dieu) tout type d’opposant montre bien que la religion est son idéologie principale, le discours qui fonde sa légitimité et sa raison d’être. Par conséquent le mouvement iranien doit désormais déclarer qu’il veut la désislamisation totale du pays. La tâche semble peut-être ardue mais peut être réalisée d’autant plus fortement et expressément que la religion lui apparait depuis trente ans dans sa vérité fondamentale : le masque de la domination. Renvoyer la religion à son néant est la première garantie de ne pas voir se lever un nouveau pouvoir séparée de la société après le renversement du premier.

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La force du mouvement actuel est son auto-organisation, son absence de hiérarchie. De là vient la difficulté du régime à le réprimer efficacement, et de là naissent des perspectives révolutionnaires réelles. Par son refus de la division masses/lieder, il prend la forme adéquate pour assurer son autonomie, et possède par conséquent les moyens de réaliser le projet révolutionnaire d’abolition de toutes les classes. Seule lui manque encore la conscience claire de ses aliénations et de la tâche à entreprendre pour les abolir. Mais l’atmosphère générale de la contestation travaille à cette prise de conscience : l’échec des tentatives des Moussavi et autres Karoubi de recentrer la colère sur le seul résultat du scrutin de juin 2009 montre que nombreux sont celles et ceux qui ne souhaitent plus simplement changer d’employeur mais changer l’emploi de leur vie.

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La force du mouvement pour la libération des femmes d’Iran (du moins dans la tendance qui s’est exprimée à travers Equal Rights Now (6)) est sa volonté internationaliste. Ses faiblesses sont sa théorie et ses illusions. Ces femmes sont deux fois dominées – par l’économie et le patriarcat – mais ne le voient qu’une fois. Les illusions qu’elles nourrissent à l’égard du modèle de la démocratie bourgeoise leur coupent la perspective d’abolir réellement toutes les dominations. A défaut de s’en défaire, leur contestation partielle rejoindra la fonction répressive de la nouvelle classe dominante qui remplacera – s’il elle y parvient – la république islamiste.

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Si les ouvrier(e)s iraniens font preuve d’une combativité accrue ces derniers mois à travers de nombreuses grèves, débrayages et manifestations (qui restent localisés à l’exception de la grève générale au Kurdistan iranien en juin 2009) leur pratique est dirigée essentiellement vers la satisfaction de revendications immédiates – pour le paiement des salaires en retard de plusieurs mois dans la majorité des cas. Pour le moment ils/elles n’ont pas particulièrement manifesté leur volonté massive d’entrer dans le conflit en cours (à l’exception de quelques conflits localisés qui se sont immédiatement politisés dans l’ambiance de contestation générale). Pourtant ce sont eux/elles qui possèdent le pouvoir de renverser efficacement l’ordre dominant en Iran grâce à leur accès direct aux moyens de production, et la possibilité qu’il leur est faite de s’en emparer. Les manifestations massives du mois de juin, de décembre et de février ont permit aux opposant(e)s de prendre le contrôle de certaines rues, voire de quartiers entiers. Mais même dans l’hypothèse qu’ils/elles soient parvenu(e)s à s’emparer des lieux d’exercice du pouvoir, celui-ci se serait maintenu tant que les travailleur(e)s auraient continué de se rendre dans les usines. Peut-être la dislocation en cours de l’Etat iranien permettra dans un futur proche de le mettre à bas par de simples manifestations massives (et armées), mais il sera alors d’autant plus aisé pour les capitalistes de maintenir leur pouvoir de classe en rebâtissant à la hâte, et sur les ruines de l’ancien, un nouvel Etat à la tête duquel ils placeront le premier usurpateur venu qui prétendra représenter la volonté populaire. Les mots d’ordre de ralliement des travailleurs au mouvement en cours, de grève générale, d’occupation des usines et de formation de Conseils (ouvriers ou non) doivent devenir ceux des révolutionnaires iraniens qui sont sur les positions les plus avancées, et doivent être diffusés massivement par tous les moyens en leur possession.

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Il reste aux travailleur(e)s iraniens à faire une démarche similaire à celle des femmes qui luttent contre l’apartheid sexiste : un appel international à celles et ceux qui partagent la même condition de survie, le salariat, et à tout faire pour s’en défaire.

Sinbad le marin
Le 16 février 2010, Bordeaux

(1) Voir la déclaration sur http://www.iranfocus.com/fr/iran-general-/la-france-rend-hommage-ceux-qu...
(2) Voir la déclaration sur http://www.iranfocus.com/fr/sur-le-fil/iran-lue-soutient-les-manifestant...
(3) Extrait d’une résolution adoptée par le 7ème congrès du Parti Communiste-Ouvrier d’Iran en décembre 2009 : « La classe ouvrière ne peut se mettre à la tête de la révolution actuelle que par le biais de son parti politique. La progression, l’approfondissement, la radicalisation et éventuellement la victoire de la révolution dépendent du lien du peuple avec le parti de la classe ouvrière en tant que représentant de la critique des masses, de leur mécontentement et de leur refus de l’ordre établi, et aussi du fait qu’elles l’acceptent comme dirigeant de la lutte des masses pour le renversement de la République Islamique. Un tel parti doit, en premier lieu, représenter les objectifs politiques et sociaux de la révolution et faire sentir sa présence dans la lutte pour le pouvoir politique, et, deuxième, être accepté comme dirigeant par la société. Dans les circonstances politiques en Iran, le Parti Communiste-Ouvrier d’Iran bénéficie de ces caractéristiques et possède les capacités nécessaires pour obtenir la position dirigeante de la révolution. » C’est une négation de l’autonomie ouvrière, et plus largement de celle de toutes les composantes du mouvement.
(4) Komala a participé plus tard à la fondation du parti communiste. Le prolétariat iranien n’a aujourd’hui plus rien à espérer de cette organisation qui a assimilé en son sein certaines des tendances nationalistes Kurdes qu’elle combattait à ses débuts, qui aspire à intégrer la ridicule internationale socialiste et se dit prête à recevoir un financement des Etats-Unis pour combattre Ahmadinejad.
(5) La banque Sepah possède une succursale parisienne située au 17 place Vendôme, 75001 Paris. Tel : 0142603257 ; une agence à Rome et à Frankfort et une filiale en Angleterre.
(6) Voir le Manifeste de la Libération des femmes en Iran sur http://equal-rights-now.com/IntWD/IntWD649.php?nr=63719093&lang=fr



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